Le Hamas, ennemi mortel de l’Occident

J’ai toujours apprécié la plume et les analyses de Michel Goya et j’étais impatient de plonger le nez dans son dernier livre L’embrasement : Comprendre les enjeux de la guerre Israël-Hamas (Perrin / Robert Laffont). À quelques bémols près, sur lesquels je reviendrai en deuxième partie, je n’ai pas été déçu.

Dans la tourmente actuelle, un constat s’impose. Israël a très mal jaugé son adversaire. Le Hamas est à des années lumières d’une troupe de lanceurs de pierres ou de terroristes improvisés. C’est un ennemi mortel « bien organisé et bien équipé », faisant preuve d’ingéniosité qui a laissé l’armée israélienne aveugle et sourde devant le péril qui se dessinait et qui l’a frappé au crépuscule le 7 octobre.

À cet égard, certains passages m’ont causé beaucoup d’étonnement. D’abord, celui de l’utilisation par le Hamas, d’« une flotte de petits drones-munitions bricolés, [grâce à laquelle] l’organisation terroriste détruit [au moment de son incursion sanguinaire] caméras optiques et thermiques, détecteurs de mouvement, antennes-relais sur la clôture et les tours de guet ainsi que les mitrailleuses téléopérées placées dans des petites tours en béton. » Comme quoi la meilleure technologie du monde doit parfois s’agenouiller devant des adversaires déterminés qui savent la contourner. Ce dont atteste une seconde affirmation, selon laquelle « le service de renseignement du Hamas a cartographié patiemment tous les points sensibles le long de celle-ci [la barrière de sécurité entre Gaza et Israël] et organisé très précisément la manière de les neutraliser. »

Avec le temps et l’expérience, le Hamas s’est donc professionnalisé. Énormément. Israël a devant lui un adversaire qui ne reculera devant rien dans sa mission déclarée de le rayer de la carte. D’où la nécessité de le neutraliser.

Michel Goya revient à quelques reprises sur le fait que les dirigeants israéliens auraient tendance à se jouer de l’opinion publique internationale. On se préoccupe donc bien peu – trop peu? – de la « bataille des cœurs et des esprits » dans les officines de Tel Aviv et de Jérusalem. Dans cet univers qu’est le nôtre, dénué de cette réalité polémologique où fourmille également un antisémitisme à peine déguisé, il est facile et commode d’oublier que le gouvernement israélien est confronté « à des gens issues de populations qui de toute façon détestent Israël et les Juifs. » On peut argumenter sur ce point, mais le fort taux d’approbation du Hamas au sein de la population palestinienne n’a rien pour contredire l’affirmation.

Entre les lignes, on peut comprendre que l’auteur ne tressaille pas d’admiration pour l’armée israélienne et ceux qui la commandent, notamment au niveau politique. Dans cette catégorie, il est loin d’être le seul. Je passerai sous silence les allusions à la prétendue culpabilité israélienne dans la crise humanitaire actuelle ou à la nature disproportionnée des actions de Tsahal – à propos desquelles nous pourrions certainement avoir un débat intéressant.

J’ai néanmoins sourcillé d’étonnement en lisant sa suggestion à l’effet qu’ « on aurait pu imaginer en théorie que l’État hébreu accueille sur son sol les déplacés gazaouis, peut-être sur les lieux des massacres du 7 octobre, ce qui aurait été à la fois une œuvre de pédagogie et une démonstration de générosité. » Je vois mal comment ce scénario pourrait contribuer à autre chose qu’un nouvel affaiblissement de la sécurité d’Israël.

En ce qui concerne le fait que le gouvernement israélien en place (lire, le premier ministre Benjamin Netanyahou) serait un « mort-vivant politique », je me permets d’ajouter une mise en garde. Rarement dans l’histoire politique, un personnage n’a fait preuve d’une résilience, d’une ténacité et d’une capacité de rebondissement comparable à celle de celui qui est actuellement aux commandes d’Israël. Un jour viendra où « Bibi » devra s’incliner devant les lois de la gravité politique, mais sa prodigiosité légendaire fait en sorte que je ne m’aventurerai pas à prédire sa chute imminente.

Malgré ces légers irritants, le livre de Michel Goya mérite d’être lu et médité.

Au-delà du Moyen-Orient, la guerre initiée par le Hamas contre Israël nous apporte un enseignement vital. Pour comprendre le cycle de l’histoire et ce qu’elle risque de nous réserver, il faut impérativement se rapprocher de la sagesse des Anciens. Je pense ici aux Romains. La vision de l’empereur Hadrien était d’imposer la paix par la force, philosophie qui donnera naissance à l’expression Si vis pacem, para bellum (si tu veux la paix, prépare la guerre). Que l’on soit en accord ou non ne changera rien au fait que la res militaris est indissociable de toutes les étapes de l’histoire de l’humanité. Serions-nous blottis dans une sédentarité pacifiste résultant d’une fin de Guerre froide dénuée de fracas?

Les adversaires d’Israël, qui, rappelons-le, sont aussi ceux des États-Unis et de leurs alliés, ont les yeux rivés sur les zones chaudes actuelles – de Gaza à Taïwan, en passant par l’Ukraine. Ils en arrivent au constat, selon Michel Goya, que « pour vaincre une armée occidentale, il suffit de résister et de lui infliger le maximum de pertes jusqu’au point de rupture où l’engagement est perçu comme un enlisement coûteux. » L’auteur rappelle que cela a conduit au retrait du Sud-Liban et de Gaza en 2005.

Les opinions publiques sont donc devenues des munitions aussi cruciales que celles qui garnissent les arsenaux.

« Accepter l’idée d’une défaite, c’est être vaincu » déclarait le maréchal Foch. Au final, nous devrions donc être profondément reconnaissants aux Israéliens de ne jamais vouloir baisser les bras devant cet ennemi mortel – le Hamas – qui hypothèque leur survie. Cet ennemi est aussi une manifestation mortifère de la haine de l’Occident et de ses valeurs. Indépendamment de notre volonté et de nos opinions, ce conflit est aussi fondamentalement le nôtre.

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Michel Goya, L’embrasement : Comprendre les enjeux de la guerre Israël-Hamas, Paris, Perrin | Robert Laffont, 2024, 240 pages.

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