La grande oubliée des vainqueurs de la Deuxième Guerre mondiale

Photo de l’auteur Benoît Rondeau prise au mémorial dédié aux Forces britanniques à Ver-sur-Mer (courtoisie de Benoît Rondeau)

Benoît Rondeau est un auteur que j’apprécie particulièrement. Il apporte au lectorat francophone une compréhension singulière de l’histoire militaire de la Seconde Guerre mondiale. Son livre consacré au soldat britannique durant ce conflit offre au lecteur la possibilité de marcher au combat au son de la cornemuse et de profiter de quelques instants de répit pour savourer une tasse de thé.

Suite à la publication de ma recension de cette excellente lecture, il a aimablement accepté ma demande d’entrevue et je suis enchanté d’en partager le contenu avec vous aujourd’hui.

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Monsieur Rondeau, je suis tout d’abord curieux de savoir combien de temps vous avez consacré à la recherche et à la rédaction de ce livre?

Pour ce qui est de la recherche, il va de soi que l’ouvrage a intégré le fruit d’années passées à découvrir et à comprendre l’armée britannique pendant la Seconde Guerre mondiale. La phase de recherche et de rédaction spécifiquement consacrée à l’ouvrage proprement dit s’est étalée sur un an et demi.

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Charles III, l’étoffe d’un grand roi

« « Fils de », « époux de », puis « père de », Charles dut […] se battre pour affirmer sa personnalité et promouvoir ses engagements. » À elle seule, cette observation du biographe et journaliste Philip Kyle résume le parcours fascinant mais souvent tragique du monarque qui sera couronné après-demain en l’abbaye de Westminster.

Mon chef d’État favori, Winston Churchill, a attendu l’âge vénérable de 65 ans – celui de la retraite – pour atteindre le sommet. Il est invité à diriger son pays au pire moment de son histoire, lorsque le péril brun déferle en Europe. De son côté, Charles III aura dû attendre 8 ans de plus que son illustre compatriote pour vivre sa consécration. Après sept décennies dans l’antichambre du trône, il « […] fut l’héritier à avoir attendu le plus longtemps son accession. ». Les deux personnages auront fréquenté les abîmes et les hauts sommets, mais se seront démarqués par une homérique ténacité devant l’adversité. Je m’arrêterai ici sur ce corollaire, même s’il y aurait encore tant à écrire.

Le plus grand mérite de la biographie que nous propose Philip Kyle est de révéler des facettes peu connues, voire occultées, de celui sur la tête duquel sera déposée la couronne de saint Édouard dans quelques heures. Sensible, altruiste – « […] il sélectionnait souvent un enfant peu talentueux, qui n’allait pas l’aider à gagner, mais qui aurait sans doute été choisi en dernier autrement » pour faire partie de son équipe à l’école, mais de caractère affirmé, Charles n’a jamais craint de susciter la controverse pour faire avancer ses idées. Je garde en mémoire le souvenir d’un professeur au secondaire qui se moquait du prince de Galles, narguant sa posture écologiste et son habitude de parler aux plantes.

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Le combat du soldat britannique

Mon degré d’appréciation d’un livre repose sur les connaissances acquises et le plaisir ressenti à le parcourir. Le soldat britannique : Le vainqueur oublié de la Seconde Guerre mondiale (Perrin) de l’historien militaire Benoît Rondeau rencontre haut la main ces deux critères. Il comble une lacune flagrante et désolante dans l’historiographie, en ramenant en première ligne la contribution de ces Tommies qui sont constamment négligés au profit des Américains, des Russes et des Allemands. Comme il le rappelle à la toute dernière page, « au printemps 1940, la vaillante armée britannique est restée seule, la tête haute, face au péril nazi. »

Dans son livre Anatomie de la bataille – un classique – sir John Keegan s’employait à disséquer l’expérience au combat des hommes de troupe ayant pris part aux batailles d’Azincourt, de Waterloo et de la Somme. Benoît Rondeau, pour sa part, ne ménage aucun détail, pas même l’importance des chaussettes, pour brosser le tableau de la réalité quotidienne éreintante de ceux et celles qui ont combattu sous l’Union Jack entre 1939 et 1945.

Tous les aspects de l’effort de guerre consenti par le soldat britannique sont passés au peigne fin. On peut notamment y apprendre – mais en sommes-nous étonnés – que les femmes servant dans l’armée de Sa Majesté – dont la future reine Elizabeth II – étaient moins bien payées et que les rations qui leurs étaient attribuées étaient moindres que celles prévues pour les hommes. Du côté des relations entre militaires et civils, on apprend notamment que le passage des troupes australiennes en Afrique du Sud pendant les hostilités aura marqué la mémoire d’un jeune homme nommé… Nelson Mandela.

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Rien ne permet de rattacher Giorgia Meloni au fascisme

La présidente du Conseil italien Giorgia Meloni (News18)

Dans la foulée de la publication de ma recension de son très documenté et agréable Les hommes de Mussolini, l’auteur et historien Frédéric Le Moal a généreusement accepté de répondre à quelques questions. Voici le contenu de cet échange extrêmement instructif et agréable.

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M. Le Moal, dans Les hommes de Mussolini, j’ai été frappé de constater l’importance et la portée des forces en présence – monarchie, Église et forces armées – avec lesquelles Mussolini devait composer. Diriez-vous que le Duce avait les mains attachées dès le départ?

Mussolini lui-même a reconnu en 1944 que la révolution fasciste s’était arrêtée devant le palais royal. Ce qu’il exprimait par ce raccourci, c’était la réalité du contre-pouvoir que représentait la Couronne – et par là une limite à son propre pouvoir – puisque le Duce, tout dictateur fût-il, n’occupa jamais le poste de chef de l’État. Il demeura Premier ministre, ce que Victor-Emmanuel III aimait lui rappeler en l’appelant Presidente (allusion à sa fonction pourtant abolie en droit de président du Conseil).

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La ruse, cette égalisatrice de puissance

La série télévisée Valley of Tears (La vallée des larmes) diffusée sur HBO Max relate le début de la guerre du Kippour – jour le plus sacré du calendrier juif – qui a été initiée par la Syrie et l’Égypte le 6 octobre 1973. Dans cette série, un jeune officier du renseignement, Avinoam, s’évertue sans succès à prévenir ses supérieurs du danger qui guette Israël par les informations qu’il est parvenu à glaner en espionnant des conversations téléphoniques syriennes. Jérusalem sortira vainqueure du conflit 19 jours plus tard, mais la conscience nationale restera traumatisée par cet épisode.

« La surprise est bien plus que la moitié de la bataille », comme l’évoque Rémy Hémez dans son livre Les Opérations de déception : Ruses et stratagèmes de guerre (Perrin). En octobre 1973, nous dit-il dans son exposé enlevant, « deux mythes de la société israélienne se sont effondrés : l’invincibilité de l’armée et l’infaillibilité des services de renseignements. » Les Israéliens étaient pourtant bien avisés, mais ils ont été bernés par ce que le militaire-chercheur désigne comme étant le « biais de confirmation », cette « […] tendance à ne rechercher, et à ne trouver pertinentes, que les informations qui confirment nos préconceptions. » Au lieu de focaliser sur les intentions de l’adversaire, l’attention a été portée sur les capacités, ce qui a eu pour effet de bercer Israël d’un faux sentiment de sécurité en raison de la supériorité de ses forces militaires.

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Pie VII: Victime et vainqueur de Napoléon

Pendant son règne Napoléon a affronté des généraux et des hommes d’État dont les noms remplissent les pages de l’histoire. On peut notamment penser au duc de Wellington, au tsar Alexandre 1er ou à l’empereur François 1er d’Autriche. C’est principalement par la force des armes que l’empereur des Français est parvenu à bâtir son empire et sa réputation. Le militaire et théoricien prussien Carl von Clausewitz ne le considérait-il pas comme étant un dieu de la guerre?

Il est cependant une autre figure directement liée avec le ciel face à laquelle Napoléon n’est jamais parvenu à avoir le dessus. Je parle ici du pape Pie VII. Je n’évoque pratiquement jamais les figures ou les sujets d’ordre religieux sur ce blogue. Pourquoi faire exception aujourd’hui? Tout d’abord parce que Barnaba Chiaramonti était un moine bénédictin – un ordre pour lequel j’ai toujours nourri une profonde admiration. Il y a aussi le fait que je me suis toujours beaucoup intéressé aux figures qui se sont élevées, d’une manière ou d’une autre, contre Napoléon.

J’étais donc impatient de plonger dans la biographie que lui consacre l’historien Jean-Marc Ticchi et que les Éditions Perrin ont récemment publiée. Quel ne fut pas mon plaisir de découvrir un personnage aux antipodes des caricatures sur lesquelles reposait jusqu’alors mon appréciation de Pie VII. Personnage « qui s’est montré un ami véritable de dame Pauvreté » et très généreux, celui qui a pris le nom de dom Gregorio en entrant au monastère « […] est traité sans guère d’égards par des confrères qui le logent à côté d’un fourneau rendant sa cellule invivable en été… » Ce détachement des biens et du confort terrestres lui seront plus qu’utiles dans la passe d’armes qui l’opposera à Napoléon quelques années plus tard.

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Ils ont fait tomber Mussolini

Il y a quelques années, durant un séjour à Rome, j’avais demandé à une guide de me faire visiter les principaux lieux d’intérêt reliés au dictateur Benito Mussolini. Parmi ceux-ci se trouvaient les Fosses adréatines, le Musée de la libération de Rome (lequel abritait le QG de la Gestapo à Rome vers la fin du conflit) et le Palais de Venise sur le balcon duquel le Duce annonça l’entrée en guerre de l’Italie le 10 juin 1940. Durant toute la journée, la guide ne cessa de me répéter que les Italiens n’étaient pas entichés des Nazis et qu’il fallait faire la distinction entre les deux.

Les séides de Mussolini affichaient manifestement des différences frappantes avec la horde brune qui gravitait autour d’Hitler à Berlin. Le dernier livre de l’historien Frédéric Le Moal Les hommes de Mussolini (Perrin) offre aux lecteurs la possibilité de découvrir ou mieux connaître ces hommes (il n’y avait aucune femme dans le groupe) qui ont accompagné Mussolini sur son parcours.

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Harry et Meghan sont lassants

Le prince Harry et le journaliste Anderson Cooper pour l’émission 60 Minutes (The Telegraph)

Le comte Jean des Cars est un historien et auteur réputé qui a consacré plusieurs ouvrages au sujet de la monarchie britannique. En 2022, j’ai eu le privilège de recenser son Pour la reine : Hommage à Elizabeth II ainsi que la réédition de la biographie Elizabeth II naturellement consacré à la souveraine. Les deux livres sont publiés chez Perrin.

Dans la foulée de ces recensions, M. des Cars a aimablement accepté de répondre à mes questions pour une première entrevue qui fut publiée sur ce blogue à la fin du mois de septembre dernier. J’ai de nouveau échangé avec cet auteur – qui est l’un des meilleurs spécialistes francophones des têtes couronnées – et qui fut le premier journaliste français reçu à Buckingham Palace par celui qui était à l’époque connu comme étant l’héritier de la Couronne, et ce, avant même son mariage avec Diana.

Tradition et innovation: Elizabeth II a réussi ce mariage fascinant!

Selon lui, « le décès d’Elizabeth II a été l’évènement le plus considérable de l’année 2022, notamment pour une raison que le public ignore souvent: elle fut le seul chef d’État en fonctions (de 1953 à 2022), qui avait vécu la Deuxième Guerre Mondiale. En 1939, elle avait…13 ans! Quand elle devient reine, Staline est toujours [au pouvoir] à Moscou! La longévité de la reine est extraordinaire. Nous ne reverrons jamais un tel « spectacle », notamment parce que la jeune souveraine avait compris, bien avant Churchill, le futur pouvoir de la télévision. Elle fut, dans bien des domaines, une pionnière. Tradition et innovation: elle a réussi ce mariage fascinant! »

Le décès de la bien-aimée souveraine, survenu le 8 septembre dernier, est naturellement venu changer la donne et marquait le début d’un nouveau chapitre dans l’histoire de la monarchie.

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« Il y a chez cet homme du Churchill et du Clemenceau »

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky parcourant les tranchées qui contribuent à défigurer son pays depuis le début de la guerre lancée par la Russie. (source: Kyiv Post)

Le général d’armée Henri Bentégeat est un militaire français qui a servi en tant que chef de l’état-major particulier du président de la République entre 1999 et 2002 et chef d’état-major des armées de 2002 à 2006. Il est l’auteur de deux excellents livres, Chefs d’État en guerre et Les ors de la République, tous deux publiés chez Perrin.

Je suis privilégié de le compter parmi mes interlocuteurs appréciés. Le général Bentégeat tient à conserver un devoir de réserve, pour ne pas porter ombrage à son successeur, le général Thierry Burckhart. Ce qui est très louable. Il a néanmoins accepté de partager quelques observations à propos du leadership de guerre du président ukrainien Volodymyr Zelensky.

« Qu’attend-on d’un chef d’État confronté à la guerre », de se questionner réthoriquement l’ancien proche collaborateur des présidents Mitterrand et Chirac? « D’abord, une vision claire des enjeux, ensuite une capacité à se fixer des buts de guerre ambitieux et réalistes, enfin la capacité à mobiliser l’ensemble des ressources du pays pour conduire la guerre; accessoirement, le choix de chefs militaires compétents et loyaux. Selon ces critères, le président ukrainien est parfaitement à la hauteur de ses lourdes responsabilités. »

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« Je pense que Harry couche avec le fantôme de sa mère »

L’historien et biographe Jean des Cars (source: The Limited Times)

Le comte Jean des Cars est un personnage des plus sympathiques et généreux. Sa bibliographie est impressionnante et il est le spécialiste de référence des têtes couronnées européennes. Il m’a accordé il y a quelques jours un long entretien à propos de la monarchie britannique, dans la foulée du décès de Sa Majesté la reine Elizabeth II survenu le 8 septembre dernier.

« J’ai été le premier journaliste francophone reçu à Buckingham Palace par le prince Charles [maintenant le roi Charles III]. C’était en 1982, avant son mariage avec Diana », de mentionner fièrement l’auteur du récent livre à succès Pour la reine (Perrin) qui en est à sa cinquième réédition. « J’avais appris qu’il allait venir en France, pour honorer la mémoire des combattants de la Royal Air Force qui s’étaient cachés dans les caves à champagne et qui avaient vécu des moments épouvantables. Il devait être accompagné de Lord Mountbatten. J’ai donc dit au journal (Le Figaro) : « Et si on demandait un entretien au prince de Galles? » Tout le monde me regarde et me dit : « vous êtes fou. » J’ai donc pris l’annuaire téléphonique de Londres. J’ai appelé Buckingham et j’ai demandé à parler à l’officier de presse en charge du prince de Galles. On me passe alors un Australien avec un accent de crocodile qui me demande de lui envoyer par télécopieur une photocopie de mon passeport et ma liste de questions. Deux jours plus tard, on me confirmait un rendez-vous qui était prévu le surlendemain. Personne n’a cru que j’avais simplement obtenu cet entretien simplement à cause d’un appel à Buckingham Palace », de se remémorer l’historien avec gourmandise.

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