Les douze travaux de Napoléon
En janvier 2015, je profitais d’une belle journée d’hiver pour découvrir la forteresse historique de Fort George, dans la région de Inverness, en Écosse. Cette installation, qui donne directement sur le Moray Firth, est aussi le domicile du 3e bataillon du Royal Regiment of Scotland. Les visiteurs peuvent notamment y parcourir le fantastique musée des Highlanders, lequel regorge de trésors exceptionnels relatifs à la tradition militaire écossaise.
L’une des raisons pour lesquelles je conserve un souvenir impérissable de Fort George est relative au fait que cette installation militaire construite après l’infructueux soulèvement jacobin de 1745 avait été envisagée comme destination pour Napoléon après sa seconde abdication en 1815. On nous expliquait toutefois que les Britanniques n’ont pas voulu encourir le risque que l’empereur déchu puisse fomenter la sédition des Écossais envers Londres – un scénario tout sauf farfelu quand on considère la rivalité historique entre les deux peuples et les nombreux complots d’évasion que ce sentiment et l’absence de toute frontière naturelle auraient pu faciliter.
Il n’en demeure pas moins que le scénario a cependant été envisagé, notamment par Metternich, lequel est cité dans le récent ouvrage de l’historien David Chanteranne Les douze morts de Napoléon. En fermant les yeux, j’ose imaginer cette figure martiale déambuler sur les remparts de la majestueuse forteresse, protégé du vent du large et du froid écossais par son uniforme de colonel de la Garde.
L’auteur – qui est également rédacteur en chef de la revue Napoléon 1er – nous rappelle que le destin du célèbre personnage a manqué d’être interrompu à plusieurs moments cruciaux de son existence. Que ce soit en effleurant la mort (sous les affres de la peste) en Égypte, en étant victime d’attentats, en étant « sérieusement blessé au cours de la bataille de Ratisbonne » le 23 avril 1809 ou en attentant lui-même à sa vie, la mort marcha fréquemment aux côtés de celui que Clausewitz appelait le « Dieu de la guerre ». Elle courtisera ces grands moments qui contribueront à édifier sa stature dans l’histoire.
L’un de ces épisodes, la tentative d’assassinat perpétrée contre Napoléon en octobre 1809 au palais de Schönbrunn, aura une influence directe. C’est ainsi qu’ « […] après l’exécution de Staps [Frédéric, celui qui avait tenté de lui enlever la vie], Napoléon prit-il vraiment conscience de l’importance d’avoir un héritier. » Vient ensuite le mariage avec Marie-Louise, fille aînée de l’empereur François 1er d’Autriche, et la naissance subséquente du roi de Rome. Ce fils légitime tant attendu occupera d’ailleurs les dernières pensées du grand personnage quelques instants avant son décès. Je méconnaissais cet attentat et ses retombées dans la geste napoléonienne.
Dès son jeune âge, Napoléon avait choisi de ne pas faire partie de ces « âmes froides et timides qui ne connaissent ni la victoire, ni la défaite » pour reprendre l’expression de l’ancien président américain Theodore Roosevelt. Choisir le métier des armes et courtiser la gloire des champs de bataille s’accompagne inévitablement d’innombrables risques et périls potentiels. En y ajoutant les soubresauts et écueils de la vie politique, nul besoin d’être grand devin pour comprendre que le jeune Corse devenu général de brigade à 24 ans seulement avait choisi d’emprunter la voie difficile, mais ô combien glorieuse lorsque le sort des armes sourit à celui qui les endosse comme mode de vie.
À l’intérieur de 13 chapitres enlevants, David Chanteranne illustre 12 moments charnière où « […] le vainqueur d’Austerlitz aura surtout montré son incroyable capacité à savoir transformer une situation compromise en une chance insoupçonnée. » Avec une capacité comparable à Astérix et son légendaire compagnon Obélix à surmonter les épreuves, ces 12 épisodes constituent une véritable ode à la résilience.
Et à l’heure où plusieurs d’entre nous doivent composer avec un confinement, un couvre-feu et un changement souvent important dans nos habitudes de vie, la capacité légendaire du locataire de Longwood à surmonter l’adversité et l’utiliser comme pivot vers le succès en quelque sorte a tout pour inspirer. Après tout, il y a bien pire que de devoir rentrer chez soi avant 18 ou 20 heures.
Je suis enfin très heureux d’avoir découvert David Chanteranne. Dépourvue des tournures du style souvent alambiqué de plusieurs auteurs qui endort souvent l’intérêt, la plume de ce jeune historien talentueux est attachante. Son propos concis et précis. Sans se détourner du devoir de l’historien de conserver une certaine distance par rapport à son sujet, on ressent néanmoins un sincère attachement à présenter les qualités qui font en sorte que Napoléon est devenu une figure emblématique alors que ses anciens geôliers ne sont connus que des férus d’histoire. Il est pratiquement impossible, il faudrait être inhumain selon moi, pour ne pas avoir un pincement au cœur lorsqu’on lit les pages consacrées aux dernières heures sur Terre de l’empereur.
Les douze morts de Napoléon est un incontournable au début de cette année qui est dédiée à celui qui fut jadis le confiné de Sainte-Hélène.
___________
David Chanteranne, Les douze morts de Napoléon, Paris, Passés Composés, 2021, 256 pages.
Je tiens à remercier Amandine Dumas et Corinne Toullec des Éditions Passés / Composés de m’avoir si généreusement fourni une version de cet excellent livre.
Pingback: Napoléon, le plus célèbre confiné de l’histoire – Entrevue exclusive avec David Chanteranne – BookMarc