« « Fils de », « époux de », puis « père de », Charles dut […] se battre pour affirmer sa personnalité et promouvoir ses engagements. » À elle seule, cette observation du biographe et journaliste Philip Kyle résume le parcours fascinant mais souvent tragique du monarque qui sera couronné après-demain en l’abbaye de Westminster.
Mon chef d’État favori, Winston Churchill, a attendu l’âge vénérable de 65 ans – celui de la retraite – pour atteindre le sommet. Il est invité à diriger son pays au pire moment de son histoire, lorsque le péril brun déferle en Europe. De son côté, Charles III aura dû attendre 8 ans de plus que son illustre compatriote pour vivre sa consécration. Après sept décennies dans l’antichambre du trône, il « […] fut l’héritier à avoir attendu le plus longtemps son accession. ». Les deux personnages auront fréquenté les abîmes et les hauts sommets, mais se seront démarqués par une homérique ténacité devant l’adversité. Je m’arrêterai ici sur ce corollaire, même s’il y aurait encore tant à écrire.
Le plus grand mérite de la biographie que nous propose Philip Kyle est de révéler des facettes peu connues, voire occultées, de celui sur la tête duquel sera déposée la couronne de saint Édouard dans quelques heures. Sensible, altruiste – « […] il sélectionnait souvent un enfant peu talentueux, qui n’allait pas l’aider à gagner, mais qui aurait sans doute été choisi en dernier autrement » pour faire partie de son équipe à l’école, mais de caractère affirmé, Charles n’a jamais craint de susciter la controverse pour faire avancer ses idées. Je garde en mémoire le souvenir d’un professeur au secondaire qui se moquait du prince de Galles, narguant sa posture écologiste et son habitude de parler aux plantes.
Père attentionné et généreux – notamment envers son fils Harry et son épouse Meghan Markle dans les dernières années – Charles ne faisait cependant pas le poids devant le redoutable talent de communicatrice de son ex-épouse la princesse Diana. Le combat était perdu d’avance. Avec pour résultat qu’il fut confiné dans le rôle du méchant. Philip Kyle relate des épisodes qui amènent le lecteur à saisir toute la profondeur d’un personnage de qui on a trop longtemps souhaité gommer l’humanité pour le reléguer dans la catégorie du stiff upper lip froid et distant. Généreux, le roi l’a aussi été envers la jeunesse défavorisée, en créant le Prince’s Trust. Le prince de Galles a établi cette fondation en 1976 en utilisant son indemnité de départ de la Royal Navy.
L’ouverture d’esprit est un autre trait auquel l’auteur consacre beaucoup d’espace. À très juste titre d’ailleurs. J’avais été impressionné d’apprendre il y a quelques mois que le grand rabbin de l’union des congrégations du Commonwealth, Ephraim Mirvis, avait été invité par Charles III à séjourner à Clarence House la veille du couronnement, et ce, afin de lui permettre d’observer le Shabbat. Un tel geste ne peut qu’être l’apanage d’une fine sensibilité envers les différentes confessions religieuses.
Philip Kyle poursuit sur cette lancée en consacrant un chapitre – fascinant et très instructif – à l’étroite relation entre le roi et l’islam. Cette disposition de celui qui affirmait il y a quelques années vouloir être le défenseur de la foi sera un atout incontestable, à l’heure où il taille sa place dans le granit de l’histoire. Institution symbolique pour plusieurs, la Couronne britannique est un joueur de premier plan dans la joute internationale, tirant avantageusement son épingle du jeu grâce à ce que l’on appelle le soft power – la puissance douce.
À cet égard, l’auteur cite l’analyse d’un autre « […] biographe de Charles, Robert Jobson, [qui] avance que le Prince souhaite assurer à ces dirigeants par la considération qu’il leur témoigne que, là où les États‐Unis les méprisent, le Royaume‐Uni apprécie l’importance de leurs relations de longue date. » Philip Kyle souligne également que Charles III est proche du roi et de la reine de Jordanie, les dirigeants du Qatar ainsi que de la famille régnante saoudite – des acteurs incontournables sur l’échiquier – particulièrement en ce qui concerne l’Arabie saoudite. À son crédit, on peut également porter d’avoir prévenu le gouvernement Blair en 2000 face au danger d’une intervention militaire en Irak…
Cet esprit de générosité, de sensibilité, d’audace ainsi que sa légendaire curiosité intellectuelle ont permis à Charles III d’exceller à la rude école qui consistait à évoluer dans l’ombre d’une géante de l’histoire contemporaine, sa mère la reine Elizabeth II. Pour y arriver, il a dû faire preuve d’une endurance difficilement égalée. C’était son rôle et son destin, diront certains. Mais force est de constater qu’il l’a accompli avec grandeur. « Aucun prince de Galles n’a sans doute été aussi prêt que Charles à monter sur le trône », d’observer l’auteur.
Alors que se dessinent les premiers contours de l’avenir de la monarchie britannique, les qualités relevées avec brio par ce biographe de talent seront autant d’atouts essentiels pour cette institution qui a évolué grâce, et parfois en dépit, de la personnalité de celles et ceux qui ont été appelés à recevoir le sceptre et l’orbe.
On ne peut qu’être redevables à Philip Kyle d’apporter un éclairage incomparable sur un personnage mésestimé. Dans un monde turbulent et – disons-le franchement – rapace, Charles III incarne la stabilité et le dévouement qui font de la Couronne britannique une institution singulière et bienfaitrice. Au soir d’une vie riche d’épreuves et de dépassement, il a donc tout ce qu’il faut pour être un grand souverain.
Que Dieu protège le roi!
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Philip Kyle, Charles III, Paris, Perrin, 2023, 464 pages.