Le combat du soldat britannique

Mon degré d’appréciation d’un livre repose sur les connaissances acquises et le plaisir ressenti à le parcourir. Le soldat britannique : Le vainqueur oublié de la Seconde Guerre mondiale (Perrin) de l’historien militaire Benoît Rondeau rencontre haut la main ces deux critères. Il comble une lacune flagrante et désolante dans l’historiographie, en ramenant en première ligne la contribution de ces Tommies qui sont constamment négligés au profit des Américains, des Russes et des Allemands. Comme il le rappelle à la toute dernière page, « au printemps 1940, la vaillante armée britannique est restée seule, la tête haute, face au péril nazi. »

Dans son livre Anatomie de la bataille – un classique – sir John Keegan s’employait à disséquer l’expérience au combat des hommes de troupe ayant pris part aux batailles d’Azincourt, de Waterloo et de la Somme. Benoît Rondeau, pour sa part, ne ménage aucun détail, pas même l’importance des chaussettes, pour brosser le tableau de la réalité quotidienne éreintante de ceux et celles qui ont combattu sous l’Union Jack entre 1939 et 1945.

Tous les aspects de l’effort de guerre consenti par le soldat britannique sont passés au peigne fin. On peut notamment y apprendre – mais en sommes-nous étonnés – que les femmes servant dans l’armée de Sa Majesté – dont la future reine Elizabeth II – étaient moins bien payées et que les rations qui leurs étaient attribuées étaient moindres que celles prévues pour les hommes. Du côté des relations entre militaires et civils, on apprend notamment que le passage des troupes australiennes en Afrique du Sud pendant les hostilités aura marqué la mémoire d’un jeune homme nommé… Nelson Mandela.

Au fil des pages, on perçoit que les aspects les plus rudimentaires de la vie quotidienne ont largement contribué à la victoire du soldat britannique sur son ennemi allemand. Il est donc essentiel de s’assurer que le moral de la troupe soit à la hauteur de la tâche gigantesque à laquelle elle est missionnée sur tous les théâtres. « Là où Napoléon affirmait que le moral compte trois fois plus que la condition physique, Ronald Adam [adjudant général de l’armée britannique qui avait notamment pour mission de répondre aux besoins d’une armée de conscrits] établit le ratio à six pour un. » Ça dit tout.

Le sentiment d’appartenance permet au militaire de ne pas être noyé dans la masse. J’imagine facilement mes compatriotes du Royal 22e Régiment (R22eR) entonner Alouette (une chanson du répertoire folklorique canadien-français). L’auteur évoque également les coiffures traditionnelles portées par les unités écossaises à l’extérieur des zones de combat et le fait que des commandos écossais participent à des raids en portant le fameux kilt.

Un autre guerrier saute aussi rapidement aux yeux du lecteur qu’il s’élance sur le champ de bataille. Le légendaire Gurkha figure parmi les meilleurs de l’Empire. Il est « […] tout simplement le fantassin idéal, « brave, solide, patient », mais aussi un soldat fier, notamment de ses faits d’armes, et d’une « loyauté sans faille » », selon le maréchal Bill Slim.

Celui qui a également consacré une biographie au maréchal Rommel, le « renard du désert », effleure aussi au passage la présence de commandos juifs qui ont notamment cassé du Boche en Afrique du Nord. Ils ont été présents sur d’autres théâtres et leur contribution commence à se faire jour dans l’historiographie, notamment dans l’excellent livre de Leah Garrett, X Troop, que je prévois recenser bientôt.

Pour en revenir au moral de la troupe, ce souci se transpose inévitablement sur le plan alimentaire. Une armée marche sur son estomac, disait Napoléon. Encore lui. On s’assure donc notamment que les troupiers puissent s’abreuver de leur breuvage national. « Pour tous, le thé s’avère absolument indispensable. Il est le réconfort du soldat britannique, sur tous les fronts, en toutes circonstances. Il s’agit là presque d’une distinction culturelle, d’une marque d’identité. » C’est ainsi qu’un tankiste blessé en Normandie se voit offrir une tasse de thé avant qu’on lui administre de la morphine.

La connaissance encyclopédique de l’armée britannique de l’auteur se manifeste à l’évocation de l’un des traits fondamentaux de la société dont elle est issue, c’est-à-dire l’excentricité. Je me souviens d’un vendeur dans une mercerie célèbre sur la rue Jermyn à Londres qui me confiait que l’ancien Premier ministre John Major ne portait que des chaussettes jaunes. Le lecteur sourira donc en découvrant que cette disposition est « érigée en vertu » par plusieurs généraux de Sa Majesté. Son sentiment passera à l’étonnement ou l’indignation en lisant que l’amiral lord Louis Mountbatten a fait « […] venir à grands frais jusqu’en Inde et en pleine guerre un coiffeur sélect de chez Trumpers, près de Piccadilly Circus. » Un luxe dont l’effort de guerre aurait pu facilement se passer, et ce, même si tout ce qui entoure ce secteur de Londres respire la civilisation.

Pour tout dire, ceux qui se battaient pour Dieu le roi bénéficiaient d’un soutien moral incomparable pour encaisser les estocades de l’ennemi et garder la tête haute.

De la première à la dernière ligne, le travail de Benoît Rondeau repose non seulement sur une expertise qui se manifeste dans les détails, mais aussi sur de nombreux témoignages de la bouche de ceux qui ont porté l’uniforme pendant la guerre. Cet apport humanise et bonifie le propos et la lecture.

Au-delà de la réalité soldatesque, l’auteur ne néglige pas les équipements avec lequel la troupe doit combattre et la singularité de la contribution britannique au conflit. L’espace ne me permet guère d’aller dans le détail à ce sujet, mais je me permets de citer son affirmation selon laquelle « la Royal Navy fournit la plus grosse contribution le Jour J, puisqu’elle engage 3261 navires, contre 865 pour l’US Navy. » Une information que j’ignorais…

En conclusion, je ne peux que seconder le propos de l’auteur lorsqu’il souligne la « contribution cruciale » des Canadiens – qui se sont battus la tête haute au sein des troupes de l’Empire britannique – au débarquement du 6 juin 1944 et le peu d’attention que ce fait d’arme suscite. Pour tout dire, la contribution militaire canadienne à la Seconde Guerre mondiale est une enfant pauvre de l’historiographie. J’en retire un aspect prometteur, puisque ce terreau est encore en friche et les étagères peuvent accueillir encore plusieurs livres comme celui-ci. J’ose donc espérer que cet auteur passionnant récidivera bientôt.

______

Benoît Rondeau, Le soldat britannique : Le vainqueur oublié de la Seconde Guerre mondiale, Paris, Perrin, 2021, 512 pages.

Je remercie Céline Pelletier de m’avoir procuré un exemplaire de ce livre. Je lui suis reconnaissant de sa patience à attendre cette recension…

One thought on “Le combat du soldat britannique

  1. Pingback: La grande oubliée des vainqueurs de la Deuxième Guerre mondiale – BookMarc

Leave a Reply

Fill in your details below or click an icon to log in:

WordPress.com Logo

You are commenting using your WordPress.com account. Log Out /  Change )

Facebook photo

You are commenting using your Facebook account. Log Out /  Change )

Connecting to %s

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.