La grande oubliée des vainqueurs de la Deuxième Guerre mondiale

Photo de l’auteur Benoît Rondeau prise au mémorial dédié aux Forces britanniques à Ver-sur-Mer (courtoisie de Benoît Rondeau)

Benoît Rondeau est un auteur que j’apprécie particulièrement. Il apporte au lectorat francophone une compréhension singulière de l’histoire militaire de la Seconde Guerre mondiale. Son livre consacré au soldat britannique durant ce conflit offre au lecteur la possibilité de marcher au combat au son de la cornemuse et de profiter de quelques instants de répit pour savourer une tasse de thé.

Suite à la publication de ma recension de cette excellente lecture, il a aimablement accepté ma demande d’entrevue et je suis enchanté d’en partager le contenu avec vous aujourd’hui.

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Monsieur Rondeau, je suis tout d’abord curieux de savoir combien de temps vous avez consacré à la recherche et à la rédaction de ce livre?

Pour ce qui est de la recherche, il va de soi que l’ouvrage a intégré le fruit d’années passées à découvrir et à comprendre l’armée britannique pendant la Seconde Guerre mondiale. La phase de recherche et de rédaction spécifiquement consacrée à l’ouvrage proprement dit s’est étalée sur un an et demi.

Ce qui est frappant chez le soldat britannique, c’est sa ténacité face à l’adversité, ainsi que sa capacité à s’affranchir des normes, contrairement à ce qu’on pourrait penser.

Dès les premiers paragraphes, on sent votre admiration pour le soldat britannique. Y a-t-il quelque chose qui vous a frappé d’une manière particulière dans le processus de recherche pour le livre? 

Les soldats de l’Empire britannique suscitent en effet mon admiration, et ce depuis mon plus jeune âge, sans doute, outre les médias et les jeux de l’époque, du fait que j’ai grandi à Caen, dans le souvenir de la Libération, vécue par mes parents. Ce qui est frappant est leur ténacité face à l’adversité, ainsi que leur capacité à s’affranchir des normes, contrairement à ce qu’on pourrait penser: l’aventure du LRDG, du SAS ou des Chindits, ainsi que par exemple des paras, est à cette égard exceptionnelle.

Vous abordez la présence des légendaires Gurkhas parmi les troupes de Sa Majesté. Ai-je raison de les considérer comme ayant été les meilleurs soldats de l’Empire? 

Oui, ils ont démontré toute leur valeur depuis l’époque de la Révolte des Cipayes. En 1939-45, leurs talents ont été mis à contribution aussi bien face aux Japonais que contre les Allemands et les Italiens. Je pense ici aussi bien à la guerre en Afrique, qu’aux combats menés dans les montagnes italiennes ou encore en Birmanie. Le fait qu’ils soient des volontaires et qu’une sorte de tradition familiale s’établisse n’y est pas complètement étranger. Ceci étant, sont-ils pour autant de meilleurs soldats que les Australiens, les Maoris et autres Néo-Zélandais ou les troupes d’élite? Je ne le pense pas.

Mis à part le Jour J et la bataille de Normandie, il manque aux soldats canadiens d’avoir participé activement aux combats les plus mythiques menés par l’Empire britannique.

Patriotisme oblige, quelle est votre évaluation du soldat canadien durant le conflit par rapport à ses camarades des autres pays?

Comme tous, il a eu ses déboires, pas forcément de son fait (Hong Kong, Dieppe), mais la tenue au feu en Normandie, en Italie et surtout au cours de la campagne finale force l’admiration. Ceci étant, il est difficile de considérer les formations canadiennes comme foncièrement plus efficaces que leurs homologues britanniques (ou le meilleur côtoie le pire). Il leur manque, mis à part le Jour J et la bataille de Normandie, d’avoir participé activement aux combats les plus mythiques menés par l’Empire britannique: la guerre du désert et El Alamein en particulier, Monte Cassino, la Birmanie…

Bernard Law Montgomery, Bill Slim, David Stirling, Lord Lovat et Orde Wingate sont quelques-uns des grands noms que vous évoquez dans le livre. Quel est votre personnage favori dans cette galerie impressionnante et pourquoi?

Claude Auchinleck, dont je rêve d’écrire la biographie, puisqu’il s’agit d’un général de talent (mais aussi avec ses faiblesses) ayant occupé les plus hautes fonctions (pour les Français, il préside aux dernières opérations à Narvik et c’est lui qui affronte Rommel au moment de Bir Hakeim), mais qui reste méconnu du grand public. L’aura qui entoure Bernard Montgomery, trop surévalué (mais dont il ne convient pas non plus de rabaisser la valeur de façon non fondée), demeure un frein à une véritable connaissance du haut-commandement britannique au cours de la Seconde Guerre mondiale, une connaissance qui serait expurgée des polémiques et des partis-pris.

La place de Montgomery dans l’historiographie et la mémoire découle du fait qu’il a assumé les commandements et les postes de responsabilités les plus importants, et ce, pendant toute la phase victorieuse de la guerre.

Selon vous, pourquoi Montgomery est-il si dominant dans la mémoire et l’historiographie?

Le field marshal Bernard L. Montgomery (Daily Express)

Tout simplement parce qu’il a assumé les commandements et les postes de responsabilités les plus importants, et ce, pendant toute la phase victorieuse de la guerre: il est l’homme de la grande victoire de la guerre du désert à El Alamein en octobre 1942, sans doute LA bataille pour les Britanniques; puis on le retrouve de la Tunisie à l’Italie ; il préside surtout à « Neptune », donc au Jour J, et à la bataille de Normandie ; enfin, il est l’un des artisans de la victoire finale. Il est en outre très médiatisé et une « star » dès la guerre, en fait un héros pour une nation en guerre. Depuis, certains cherchent à se faire un nom dans l’historiographie, pas forcément de façon honnête, d’abord en minimisant sans cesse, souvent de façon exagérée, ses talents, puis au contraire, depuis des années, en réhabilitant son style de commandement et ses réussites de façon souvent tout aussi outrancière.

Partagez-vous mon avis à l’effet qu’un excellent moral était la principale arme du soldat britannique durant la Seconde Guerre mondiale?

Le moral a loin d’avoir été toujours excellent, d’autant qu’on parle de millions d’hommes… Mais il est certain que la foi en la victoire finale, un gouvernement et un commandement attentif au bien-être (ce n’est pas l’armée soviétique…), une justice militaire équitable et, par-dessus tout, un sens de l’humour même face à l’adversité (un trait de caractère que j’admire tant chez les Britanniques), ont participé de la valeur générale de cette armée de l’Empire, la grande oubliée des vainqueurs de la guerre.

De l’autre côté de la médaille, quel était son principal handicap?

En dépit des unités exceptionnelles évoquées plus haut, un corps des officiers – surtout au sein du haut-commandement – manquant singulièrement (globalement, car il y a de notables exceptions, comme William Slim) de flexibilité dans sa doctrine, ainsi qu’une entrée en guerre dans de piètres conditions, faute de disposer en temps de paix d’une armée de terre digne de ce nom.

Il n’y en a que pour les Allemands! Pourquoi présenter toujours la même chose aux lecteurs?

Vous êtes probablement l’un des meilleurs connaisseurs francophones de l’armée britannique durant la Seconde Guerre mondiale. Quels sujets méritent encore d’être défrichés selon vous?

Nombre de grands généraux, amiraux ou officiers subalternes de grande classe méritent leur biographie (il n’y en a que pour les Allemands!): Auchinleck, Slim, Alexander, Stirling, Bagnold… ou encore une étude globale du haut-commandement de l’Empire pendant la guerre, de son rôle dans la grande stratégie, son organisation et les relations avec Churchill, les grands noms et leur action… Cela permettrait de découvrir le conflit sous un autre angle (il n’y a pas que la guerre en URSS!) et de comprendre la coopération interalliée, en particulier avec les Américains. Il convient aussi de revoir les grandes campagnes à l’aune des Britannique (dans le sens impérial), toujours oubliés : la guerre contre le Japon ne concerne pas que les Américains et les Japonais (ou les Russes avec la Mandchourie), Monte Cassino (et l’Italie) n’est pas que l’affaire de CEF, la campagne qui mène de la Normandie au cœur du Reich. Enfin, il y a des campagnes à faire découvrir : l’Italie, la Birmanie… Pourquoi présenter toujours la même chose aux lecteurs?

Dans la foulée du couronnement du roi Charles III, lequel a lui-même porté l’uniforme et dont les deux parents ont servi sous les drapeaux pendant la guerre. Quelle est votre lecture de la relation entre la Couronne et les forces britanniques entre 1939 et 1945?

Le roi a su tenir le rôle attendu du souverain en pareil cas, puisqu’il ne dirige évidemment pas réellement les forces de l’Empire britannique. La famille royale – au sens large – a tenu sa place pour l’aspect du soutien moral et l’engagement de la princesse Elizabeth a évidemment été un exemple. Il convient de ne pas non plus en exagérer la portée et l’impact que cela pouvait avoir sur le soldat moyen, qu’il soit un Canadien, un Australien, un Indien ou un ressortissant de tout autre territoire de l’Empire.

Auteur hautement prolifique, vous avez certainement un autre livre sur votre table d’écriture. Accepteriez-vous de nous en dire plus sur le sujet qui y sera abordé?

Je me dois de garder une certaine réserve à ce sujet. En septembre paraît chez Ouest-France un ouvrage assez dense et très illustré sur la préparation du Débarquement, ce qui implique largement l’Empire britannique. L’an prochain, un nouvel ouvrage conséquent des éditions Perrin en rapport avec les forces de l’Empire britannique sera publié : inédit, vous allez en apprécier le thème… J’ai d’autres travaux en cours, dont une biographie (un Allemand) et un BD (scénario et dialogue), ainsi qu’une somme qui, je le pense, fera date.

Merci infiniment de la générosité de votre temps M. Rondeau!

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Le soldat britannique : Le vainqueur oublié de la Seconde Guerre mondiale de Benoît Rondeau est publié chez Perrin.

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