Une géopolitique de l’optimisme

« « N’ayez pas peur », disait le pape, saint Jean-Paul II, reprenant les paroles du Christ. Ces paroles prononcées à l’occasion de grands changements nous éclairent. Elles sont d’actualité alors que des bouleversements sont en cours. » Ces mots couchés dans l’épilogue du plus récent livre du général Henri Trinquand résonnent d’une manière particulière, en ce lundi de Pâques où nous pleurons le décès du pape François, survenu plus tôt aujourd’hui. Aussi pertinente soit-elle dans l’actualité, cette citation est toutefois introduite dans le contexte d’une meilleure compréhension des eaux internationales dans lesquelles nous sommes appelés à ramer.

Aussi bien le déclarer d’entrée de jeu, l’auteur du livre D’un monde à l’autre : Comprendre les nouveaux enjeux géopolitiques (Robert Laffont) ne sombre aucunement dans ce pessimisme qui peut facilement mettre le moral en berne. C’est pour le moins rafraîchissant. Et les constats reposent sur une solide expérience de la geste militaire. Membre d’une famille dont plusieurs membres ont porté le fer contre les ennemis de la France sur différents théâtres et à différentes époques, le général Dominique Trinquand est diplômé de Saint-Cyr et a servi sous les drapeaux en tant que tankiste. Il a été servi première ligne de cette discipline qu’il décortique maintenant.

Il a été beaucoup question du Groenland ces derniers mois dans l’actualité. Le sujet peut sembler surprenant. Quelles sont les raisons des tentatives de séduction ourdies – aussi discutables et discutées puissent-elles être – face à cette deuxième masse glacée en importance sur le globe? À cet égard, l’auteur nous rappelle qu’« Il existe un potentiel en minerais énorme et non exploité au Groenland. Le gisement d’uranium et de terres rares de Kuannersuit, au sud, pourrait abriter la deuxième réserve de terres rares au monde, derrière la Chine, et la sixième d’uranium. » De quoi susciter beaucoup d’intérêt sur les rives du Potomac?

Cela dit, le général Trinquand se questionne et s’inquiète de la dépendance des Européens envers les États-Unis. À cet égard, on sent que l’héritage gaulliste de la France a posé les jalons d’un positionnement que ses héritiers seront heureux d’avoir défendu et promu. Mais le défi est de taille, puisqu’ « en quatre ans, Pékin a mené la construction d’autant de bateaux qu’il en existe pour toute la marine française. » Pour éviter de finir deuxième dans l’affrontement qu’il faut avoir la lucidité d’envisager devant cet adversaire qui appelle le recul de l’Occident de ses vœux, des choix doivent être faits, des sacrifices consentis. Chemin faisant, des aspirations se briseront sur les récifs de la Realpolitik.

Qui dit nouvelle donne dit obligatoirement nouveaux joueurs. C’est ainsi que, face à Pékin, « l’Inde est désormais la cinquième puissance mondiale, égale démographiquement à la Chine, mais aux options politiques très différentes. Elle est devenue un acteur international, incontournable par la force de son savoir. » Il y a donc tout lieu de s’intéresser davantage à ce qui se passe à Delhi.

On n’en sort pas. Le tableau qui se dessine sous nos yeux prendra les couleurs de lourds défis. En plus des suspects habituels, on compte également l’Afrique – « centre de la croissance mondiale » – l’Amérique du Sud, sans oublier « la route des pirates », ce dernier sujet méritant d’ailleurs un chapitre à lui seul. De manière tout à fait amusante, le géopoliticien rappelle que la situation qui y prévaut a inspiré un personnage intervenant dans Les Cigares du Pharaon aux côtés de Tintin – cet autre expert en la matière.

Durant la Seconde Guerre mondiale, l’indétrônable Winston Churchill – je ne pouvais m’empêcher de le convoquer dans cette recension – avait placé la langue de Tennyson et Walter Scott en ordre de bataille pour combattre les ténèbres. Je ne connais guère les sentiments qui animent le général Trinquand vis-à-vis le légendaire homme d’État, mais l’idée de mobiliser davantage la langue de Victor Hugo dans les affaires internationales se situe dans la même trajectoire. Avec potentiellement un résultat similaire, grâce à des chefs qui sauront se faire entendre comme le Vieux Lion.

L’analyse très bien ficelée que contient cet ouvrage se démarque par un style d’écriture aussi relevé qu’agréable. Elles sont également émaillées de pépites de sagesse. « Les attaques les plus secrètes sont les plus efficaces », écrit-il à propos de la bataille qui fait rage dans le cyberespace. Force est cependant de reconnaître que cette réalité prévaut dans pratiquement tous les domaines. Au-delà des grands titres, des déclarations tonitruantes ou des vœux pieux, il est impératif de maîtriser les courants de fond de la vie internationale.

Pour tout dire, les « bouleversements [qui ceinturent l’échiquier mondial] nous incitent à mieux prendre conscience de ce qui nous entoure et nous permettent de réaliser que le cours de nos existences n’est pas un long fleuve tranquille dont l’écoulement serait lent et prévisible. Il ne l’a jamais été. » Parlez-en à Tintin et à Jean-Paul II.

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Général Dominique Trinquand, D’un monde à l’autre : Comprendre les nouveaux enjeux géopolitiques, Paris, Robert Laffont, 2024, 256 pages.

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