Vladimir Poutine dans les pas de Nicholas II?

Le géopoliticien Pierre Servent (Le Figaro)

Dans la foulée de ma recension de son interpellant livre Le monde de demain, le spécialiste de la géopolitique, historien et auteur Pierre Servent a accepté de m’accorder une entrevue en début de semaine. Le lendemain de l’entrevue, on dévoilait qu’il était lauréat du Prix du livre de géopolitique 2023 – prix spécial du jury – pour cet ouvrage saisissant d’actualité.

Nous l’en félicitons chaleureusement et le remercions vivement pour la générosité de son temps.

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M. Servent, nous avons trop souvent l’impression en Occident que Vladimir Poutine est une anomalie de l’histoire. Dans votre livre, vous donnez des clés instructives pour comprendre que ce n’est pas le cas. Est-ce qu’il a le sens de l’histoire?

Il n’est pas connu pour être un féru d’histoire dans le sens où il n’a pas fait d’études en ce sens. On peut être féru d’histoire sans avoir fait des études universitaires ou autre, mais on ne note pas dans sa carrière de témoignages de ses compagnons, de ses proches, de toute l’équipe qu’on peut appeler aussi le gang de Saint-Pétersbourg à l’époque à l’effet que Vladimir se plonge dans un livre d’histoire. Il n’est pas connu pour être un passionné d’histoire.

Dans la période plus contemporaine, on trouve des indications intéressantes dans le livre notamment de Michel Eltchaninoff qui a été publié il y a quelques années qui s’intitule Dans la tête de Vladimir Poutine. Là, il semble qu’un certain nombre de personnages ayant eu des connaissances historiques approfondies mais dans un sens très particulier par rapport à l’histoire de la Russie et notamment sur son versant asiatique. La Russie est une puissance euro-asiatique et il y a toujours eu dans l’histoire du pays des tensions entre les pro-occidentaux et ceux qui, au contraire, considéraient que la Russie était une puissance asiatique.

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La grammaire de Vladimir Poutine

Le jour où le président russe Vladimir Poutine lança ses troupes à l’assaut de l’Ukraine, le 24 février 2022, un oligarque questionna le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov sur la manière dont fut planifiée cette intervention armée. « Il [le président] a trois conseillers. Ivan le Terrible, Pierre le Grand et Catherine la Grande », répondit le ministre. L’anecdote est révélatrice, puisque les trois personnages ont laissé leur empreinte en gouvernant par la puissance dure, ne rechignant pas à faire sonner la charge lorsque nécessaire.

Pour bien saisir la pensée et les actions posées par celui qui préside aux destinées de la Russie, il faut d’abord maîtriser sa grammaire. L’un des exposés les plus éclairants à ce sujet nous est offert par Pierre Servent dans Le monde de demain : Comprendre les conséquences planétaires de l’onde de choc ukrainienne (Robert Laffont). Fort de son expérience militaire et académique, mais aussi politique – le dernier élément se lit entre les lignes – l’auteur nous donne des clés essentielles pour comprendre Vladimir Poutine.

Parce que le personnage est tout sauf un accident de l’histoire. Ses actions reposent « […] sur une idéologie, sur une lecture du passé et des rapports de force dans le monde. L’homme du Kremlin est convaincu depuis longtemps que les temps nouveaux seront forgés par des hommes dotés de la capacité de recomposition des espaces de puissance. » Ces leaders ont le beau jeu présentement, puisqu’« […] il y a dans le monde un besoin frénétique de réassurance autocratique. » Cette vision du monde, est-il besoin de le souligner, est antinomique avec les valeurs démocratiques.

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Le professeur de De Gaulle

Dans son Dictionnaire amoureux du Général (que j’ai l’intention de recenser ici prochainement), le regretté Denis Tillinac citait De Gaulle qui affirmait : « L’homme d’action ne se conçoit guère sans une forte dose d’égoïsme, d’orgueil, de dureté, de ruse. » Cette citation m’a beaucoup tracassé, parce qu’on a souvent tendance à idéaliser les grands personnages. On les imagine au-dessus des défauts affligeant le commun des mortels. Après tout, le souvenir de leurs accomplissements ne permet-il pas à leur mémoire de prendre place dans l’Olympe des consciences?

J’affirme que cette citation m’a tracassé, parce que la lecture du dernier livre de Pierre Servent, De Gaulle et Pétain (Éditions Perrin) a répondu au questionnement qui m’habitait à propos de l’homme du 18 juin.

Figure d’inspiration de nos jours, De Gaulle a néanmoins cumulé une feuille de route parsemée d’animosité. « Détesté par une bonne partie de l’élite de l’armée », « il n’a guère d’amis dans l’armée ». Il peut cependant, au début de son parcours, compter sur le soutien indéfectible d’un père spirituel hors norme – le Maréchal Pétain – qui lui apprend tous les trucs du métier, dont celui d’être un bon comédien. Une excellente école pour le protégé.

L’auteur nous rappelle qu’au sortir de l’École de guerre en 1924, « Son attitude arrogante, ses contre-performances dans l’exécution de certains exercices qu’il juge au-dessous de son talent naturel, sa difficulté à accepter la critique font que la majorité du corps enseignant souhaite le classer en queue de peloton de la promotion de l’École de guerre, dans le troisième tiers, avec la mention « assez bien ». C’est une catastrophe qui ne se remonte jamais dans une carrière militaire déjà mal engagée. »

J’étais pourtant sous l’impression que De Gaulle était un premier de classe…

Trois ans plus tard, le Maréchal l’impose comme conférencier extraordinaire. De quoi faire rager les détracteurs – et on devine qu’ils sont nombreux – du Connétable. La mauvaise réputation de De Gaulle était notamment assortie du fait qu’il était connu pour être un chef très dur et distant envers ses subalternes.

À priori, on serait porté à croire qu’un tel patronage s’accompagnerait d’une loyauté sans faille. Pas pour De Gaulle, dont la boussole personnelle est orientée par son destin et celui de la France. S’il faut trahir une vieille amitié pour y arriver, qu’il en soit ainsi.

En 1938, De Gaulle fait accepter le manuscrit de La France et son armée par un éditeur, Plon, lequel ignore « […] que son nouvel auteur publie un texte qui, d’une certaine façon, appartient à un autre […] ». Le livre résultant d’une commande passée du maréchal sera publié et la rupture entre les deux hommes sera irrémédiablement consommée. Le vin est tiré… Et la table est mise pour la scène légendaire qui se jouera quelques mois plus tard.

De Gaulle n’a pas hésité à grimper sur les épaules de son protecteur pour se hisser au faîte de la gloire, une gloire néanmoins chèrement acquise dans les sacrifices encaissés sur la route de l’exil pendant la Seconde Guerre mondiale.

Lorsqu’il aborde le thème de l’orgueil – une caractéristique arborée fièrement par les deux protagonistes de son récit – Pierre Servent se déploie à multiplier les qualificatifs : cosmique, incommensurable, sans bornes, immense, puissant, d’airain, himalayen… Mais aussi bafoué et blessé. Comme pour nous rappeler que le destin des grands personnages est forgé au feu des épreuves et que les orgueils surdimensionnés constituent un rempart protégeant une sensibilité ne voulant pas s’exposer. Des épreuves que tout un chacun peu à peine imaginer. Je repense, en écrivant ces mots, à la séquence du film mettant en vedette Wilson Lambert et Isabelle Carré – que j’ai eu le privilège de visionner avant son retrait des salles de cinéma du Québec à cause de la COVID-19 – au cours de laquelle on voit le personnage principal quitter fin seul la France en juin 1940.

Pour devenir un artisan de l’histoire, De Gaulle avait compris qu’il ne faut pas être aimable et docile, mais qu’il fallait savoir ramer à contre-courant, contrairement à son ancien mentor qui profitait de la vie bonne dans la thermale Vichy.

Le maréchal Pétain fut certes le professeur généreux du Général de Gaulle dans la période formatrice de sa vie. La capacité de l’élève à se démarquer – certains diront à tuer la figure – du maître, lui aura permis de se détacher de tout en juin 1940 pour mieux attacher son wagon à la locomotive de l’histoire.

Sous la plume animée de cet éminent spécialiste en histoire militaire – qui nous a réservé d’autres bons livres comme une excellente biographie du Feld-maréchal Erich von Manstein et L’extension du domaine de la guerre que j’avais beaucoup apprécié – on apprend que le destin a un prix, celui de ne croire qu’en soi. Contre vents et marées. Une leçon puissante, surtout en cette période difficile.

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Pierre Servent, De Gaulle et Pétain, Paris, Éditions Perrin, 2020, 224 pages.

Je remercie Mme Marie Wodrascka, des Éditions Perrin, qui m’a aimablement fourni un exemplaire de cet excellent livre.

Les mémoires de von Manstein

Cela faisait un bon bout que je voulais m’y mettre et c’est fait depuis hier. Avec mon stylo comme compagnon, je me suis plongé dans les mémoires du Generalfeldmarschall Erich von Manstein. Et je dois avouer que c’est une lecture tout aussi intéressante qu’instructive. J’aurai le plaisir de vous en proposer une recension lorsqu’en aurai terminé la lecture.