Entre guerres

Dans les cours de relations internationales qui ont émaillé mes études universitaires, on nous savonnait les oreilles avec cette théorie selon laquelle la fin de la Guerre froide marquait la fin de la dominance de la geste militaire, du moins comme nous la connaissions jusque-là.

Le fracas des armes appartenait à une période révolue. Il fallait désormais composer avec « l’invention d’un nouveau concept d’opération militaire dont nous allions avoir le redoutable privilège d’inaugurer les contradictions insolubles », « l’intervention humanitaire », pour emprunter les mots utilisés par le général français François Lecointre (retraité) dans son livre Entre guerres (Gallimard).

De l’Irak à la Bosnie, en passant par le Rwanda et Djibouti – pour ne citer que quelques théâtres d’opérations – celui qui sera appelé à occuper la fonction de chef d’état-major des armées françaises entre 2017 et 2021 est issu d’une famille ayant contribué aux belles pages de l’histoire militaire française. Né en 1962, année de la crise de missiles à Cuba, la carrière de François Lecointre correspond à une période durant laquelle l’on croit que l’odeur du cambouis passe au second plan.

À toutes les époques et en toutes circonstances, l’affrontement guerrier n’en demeure pas moins une rude expérience. Les commémorations épisodiques dans nos calendriers permettent de souligner le dévouement des hommes et des femmes qui y prennent part, mais pas nécessairement de mesurer l’ampleur du tribut qu’il réclame. Le sang, la sueur et les larmes. Nous y consentons peu. Les militaires les offrent quotidiennement. Parce qu’on ne peut combattre modérément, comme le mentionne celui qui sert en tant que grand chancelier de la Légion d’honneur depuis février 2023.

Ce court livre nous propose donc un témoignage de première main d’une parenthèse – d’où le titre du livre Entre guerres – durant laquelle les jeunes loups devaient maîtriser l’alchimie du métier des armes. Chemin faisant, l’auteur et ses camarades devaient apprendre à composer avec un « alphabet moral » désireux d’oublier que les gladiateurs ont laissé leur trace à chaque période de l’Histoire.

La polémologie devait inévitablement revenir sur le devant de la scène. Avec force. Les attentats du 11 septembre 2001 et leurs lendemains ont sonné le glas des illusions. Le début de la guerre en Ukraine il y a deux ans est venu nous le rappeler de manière encore plus incisive. La parenthèse est refermée. L’omniprésence de la guerre ne peut revendiquer être accueillie avec enthousiasme. La comprendre permet toutefois minimalement d’en mesurer le caractère incontournable.

Parce qu’« on n’éradique pas le mal », de constater François Lecointre. « S’il ne faut pas souhaiter la guerre, il est cependant des batailles que nous devons accepter de livrer. » Alors que se dessinent les contours d’un ordre international où le bruit des canons n’effraie plus la conscience des grandes puissances, nous avons un devoir de reconnaissance envers ces hommes et ces femmes qui, malgré le calme trompeur, avaient et ont toujours pour mission de demeurer vigilamment aux avant-postes.

L’auteur est un intellectuel de premier niveau. Ça se constate dès les premières lignes. La vie militaire française est généreuse de nous offrir des chefs maniant aussi habilement la plume que la baïonnette. Au fil des pages, François Lecointre nous fait aimablement cadeau de tournures dont l’élégance n’a d’égal que la justesse et la pertinence de ses retours d’expérience. Le sujet abordé, la guerre, est d’une facture effrayante et douloureuse. On doit quand même se faire misère pour ne pas dévorer cet ouvrage d’une traite.

Au final, ce très beau livre appelle à une méditation obligée sur la primauté du métier des armes dans un contexte qui nous est de moins en moins étranger.

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François Lecointre, Entre guerres, Paris, Gallimard, 2024, 128 pages.

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