Napoléon fascine notamment par son génie militaire et l’empreinte qu’il a laissé dans l’histoire. Mais ce qui m’a toujours fasciné davantage, c’est l’homme et ses ressorts. Qu’est-ce qui le motivait, comment pensait-il et comment travaillait-il? Je piaffais donc d’impatience de plonger dans la récente édition des Mémoires du Baron Fain – qui fut l’un de ses plus proches collaborateurs – et qui viennent d’être éditées par l’historien et Napoléonologue Charles-Éloi Vial.
Dans un échange avec lui, l’auteur me précisait que Fain « fait partie de la « galaxie » napoléonienne, au même titre que Méneval, Duroc, Daru ou encore Bacler d’Albe ou Mounier. Ce sont les personnages qui se sont fait apprécier de l’Empereur pour leur ardeur au travail, leur efficacité et leur discrétion. Et comme Napoléon n’aime pas les nouvelles têtes, il les garde avec lui le plus longtemps possible. »
Outre l’admiration de Fain envers ce patron à qui il reconnaît des qualités de grande générosité, de méticulosité et de vaillance – l’expression « travailleur infatigable » revenant à quelques reprises – j’ai surtout été fasciné par les habitudes de lecture de celui que l’auteur compare à un « moine militaire » (j’adore l’expression), « gouvernant et administrant un empire immense du fond d’un cabinet secret, que cette retraite soit dérobée aux yeux par les lambris d’un palais ou par les rideaux d’une tente. » L’auteur l’évoque clairement et nous fait bien sentir au fil des pages que ce sanctuaire est l’endroit où Napoléon était le plus à l’aise pour travailler. Dans une dynamique régimentée dont les contours sont effectivement comparables à ceux de la vie monastique. Et c’est dans ce contexte qu’il l’a côtoyé.
Je devine déjà que cela vous donne envie de parcourir le livre… Laissez-moi ajouter à ce désir.
Les livres accompagnaient la vie et le travail de Napoléon. Il les aimait tellement qu’il les faisait placer dans un panier. C’est ainsi qu’« […] au milieu d’un travail aussi opiniâtre et aussi continu, il fallait bien de nécessité s’arrêter de temps en temps; alors un livre devenait la ressource ordinaire de l’Empereur. » Le célèbre chef de guerre aimait aussi être accompagné de ses précieux amis lorsqu’il partait en campagne. Prenons à témoin cette citation de Fain : « On tirait du fourgon les sacs de cuir contenant les portefeuilles, les papiers, les livrets, les munitions de bureau ; on en tirait également ce que l’Empereur appelait sa bibliothèque de campagne: c’était une collection de volumes en petit format sur l’histoire et la littérature, et particulièrement sur le pays où l’on se trouvait. » Charles-Éloi Vial précise d’ailleurs que ces livres étaient contenus dans « deux ou trois longues boîtes d’acajou à compartiments ».
Sur le plan médiatique, Napoléon était également un adepte des journaux anglais qu’il se faisait traduire pour se tenir au courant des développements et courants de pensée de son principal adversaire qui deviendrait plus tard son geôlier. En un mot comme en cent, l’intellect était l’une des armes de son arsenal de travail.
Cette disposition contraste nettement avec les dirigeants actuels que l’on ne voit pratiquement jamais accompagné d’un livre ou qui, dans le cas d’un certain président, se targuent pratiquement de ne pas lire.
Les appétences de Napoléon en matière de papeterie seront également très agréables aux yeux de ceux et celles qui partagent un intérêt envers la belle papeterie. C’est même à se demander si l’Empereur aurait été du type à posséder une plume Montblanc ou un gros stylo Waterman à l’instar de François Mitterrand (dixit le Général Henri Bentégeat). Mais ça, c’est une autre histoire. Je serais tout de même curieux de savoir quels étaient ses instruments d’écriture favoris…
Cela dit, Fain nous livre aussi de belles pépites de sagesse offertes par Napoléon à son collaborateur. Tout d’abord, le « moine militaire » savait écouter. Il avait également ce brillant conseil qui peut servir à tout dirigeant – qu’il soit politique, militaire ou dans le monde des affaires : « Faites creuser une question, c’est un moyen sûr […] pour connaître la force d’un homme, étudier ses penchants politiques, et même éprouver sa discrétion.» Et la dernière que je retiens : « Tout commencer, c’est pour ne rien finir! » Écouter, savoir déléguer et avoir des objectifs clairs et réalistes.
Certains pourront observer que les notes en bas de pages ont pour effet de ralentir le rythme de cette lecture passionnante. Mais elles sont néanmoins essentielles à la contextualisation du propos. Mes deux favorites sont, premièrement celle portant sur la consommation du café à la cour impériale et la décision de l’empereur d’en supprimer l’usage pour réaliser des économies. Et la seconde : « Le mamelouk Ali raconte ainsi avoir oublié les Mémoires de Mme de Motteville lors du passage de Napoléon à Metz en 1812, et avoir dû les racheter et les faire relier à l’étape suivante, à Mayence, pour que l’Empereur puisse les lire dans sa voiture. » Quoique parfois laborieuse, leur présence est très souvent agréable.
S’il est vrai, comme le mentionne le Baron Fain citant Jean-Jacques Rousseau, que « c’est dans les bagatelles que le naturel se découvre », alors Napoléon est un personnage qui mérite d’être toujours mieux connu. Et la lecture de ces Mémoires constitue une manière tout aussi efficace qu’agréable de tendre vers cet objectif.
Voilà donc une lecture passionnante et un auteur brillant (Charles-Éloi Vial) que je recommande chaudement.
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Baron Fain (préface de Charles-Éloi Vial), Mémoires, Paris, Perrin, 2020, 384 pages.
Je remercie vivement les gens d’Interforum Canada de m’avoir offert gracieusement un exemplaire de cet ouvrage, Mme Caroline Babulle des Éditions Perrin pour son aide généreuse et M. Charles-Éloi Vial d’avoir répondu à ma question au sujet du Baron Fain.