De Gaulle, cet indocile

DeGaulleCointet2Winston Churchill a toujours occupé les premières loges de ma passion de l’histoire. Sa relation avec Charles de Gaulle m’a toujours fasciné, notamment en raison des nombreuses similitudes entre ces deux grands : impulsivité, génie, mélancolie passagère, éloquence, sens de l’histoire, caractère rebelle et j’en passe.

Mais De Gaulle ne serait pas devenu De Gaulle sans juin 1940 et, dans une certaine mesure, sans Churchill. Au moment de l’Appel du 18 juin, les deux hommes se distinguent pourtant par une feuille de route bien différente. Jean-Paul Cointet, dans son fascinant livre De Gaulle : Portrait d’un soldat en politique résume que lorsque le Général effectue ses premiers pas dans les arcanes de Whitehall, le Britannique et le Français cumulaient respectivement « […] trente-cinq ans d’expérience politique, de l’autre un tout récent sous-ministre. »

C’est dire à quel point De Gaulle a été contraint de se dépasser et de lutter pour assurer non seulement les intérêts de la France combattante, mais également les siens sur le plan personnel et ce, même si les deux peuvent facilement apparaître comme ayant été identiques, tellement le militaire français incarnait pratiquement à lui seul le mouvement dont il avait pris la tête.

Ce qui m’a énormément marqué à la lecture du livre de Jean-Paul Cointet est le fait que De Gaulle a toujours été contraint de ramer de ramer à contre-courant (l’expression est bien faible) dans son pèlerinage historique. Au début des années 1930, la publication de son livre Vers l’armée de métier est accueillie froidement dans les milieux politiques et militaires. Les relations entre l’Homme du 18 juin et la caste militaire ne seront jamais faciles. La situation était telle, après son arrivée sur les bords de la Tamise, qu’il « ne répugnait pas, dans son isolement, à recevoir personnellement tout arrivant de France. »

Il est à cet égard utile de préciser que, dans les rangs de la France libre, « […] plus de la moitié des engagés sont des ouvriers ou des employés. Étudiants, fonctionnaires et militaires sont surreprésentés par rapport à leur place dans la société française. Ces hommes ordinaires n’étaient pas ceux que l’on attendait. […] De Gaulle a cruellement relevé la quasi-absence des “élites”. » Il était, tout compte fait, seul. Était-ce en raison de sa nature « rebelle » ou cela a-t-il attisé les braises de cette aptitude à « transgresser toutes les hiérarchies »? Voilà une piste de recherche sur laquelle j’aimerais bien m’engager éventuellement par quelques lectures.

Courte parenthèse, cette solitude et ce rejet par les élites permettent cependant de mieux comprendre pourquoi De Gaulle a institué l’ordre de la Libération et l’importance de cette entité dans la liturgie gaulliste.

Le De Gaulle dépeint par Cointet ne semble pas vraiment heureux, tellement il est bousculé et bombardé par les événements et les acteurs qu’il côtoie. Les manœuvres dont il est l’objet pendant la guerre par les Anglais et les Américains sont certes le lot de tout combat politique, mais il faut reconnaître qu’elles peuvent facilement user, décourager, leur destinataire. Tout au long de son parcours, De Gaulle ne s’est jamais reposé sur ses lauriers, sauf peut-être pendant sa traversée en désert. Et encore, puisqu’il se préparait à revenir aux affaires. Il avait donc bien raison d’affirmer que « Les hommes [je n’hésiterai pas à ajouter les femmes] qui s’imposent à la longue sont rarement des hommes des temps tranquilles. » Et ce sont rarement des personnalités faciles à côtoyer.

Mes chapitres favoris dans ce livre furent ceux consacrés à la Seconde Guerre mondiale — on ne peut que savourer de la manière dont il a disposé de Giraud, pourtant favori des Américains — et, dans une moindre mesure, à la Guerre froide, alors que De Gaulle préside les destinées d’un pays qui se dote de l’arme nucléaire. Avoir navigué au travers de tant d’écueils ne peut que susciter l’intérêt et, je dois l’avouer, l’admiration.

De Gaulle est probablement devenu politicien par accident, en raison de la Seconde Guerre mondiale. N’eût été ce cataclysme mondial, son souvenir serait peut-être relégué sur les étagères des titres incontournables de la littérature militaire et cité dans les discussions agrémentant certains dîners régimentaires et colloques courus par des spécialistes. Alors que juin 1940 confinait son pays sous le joug nazi et conduisait ses adversaires sur les chemins du déshonneur, il a revêtu les habits du politicien. Lui qui était féru d’histoire, de grandeur et du sens de l’honneur ne pouvait refuser de sauter dans le train du destin, comprenant que pour devenir indispensable il faut souvent devenir impossible. L’histoire n’aime pas courtiser les figures dociles.

Jean-Paul Cointet nous offre donc un portrait fascinant d’un personnage dont le nom est maintenant synonyme d’une épopée. Il faut le lire pour comprendre non seulement comment De Gaulle est parvenu à ses fins, mais aussi comment, à lui seul et malgré les revers de la vie et la cruauté des calculs politiques, il a changé la face de l’histoire.

Un excellent moment de lecture donc, pour ceux et celles qui souhaitent comprendre les ressorts de la grandeur d’un individu devant les caprices de son destin.

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Jean-Paul Cointet, De Gaulle : Portrait d’un soldat en politique, Paris, Perrin, 2020, 384 pages.

Je remercie sincèrement les représentants d’Interforum Canada de m’avoir offert gracieusement un exemplaire de cet ouvrage ainsi que Mme Caroline Babulle des Éditions Perrin pour sa précieuse collaboration.

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