Il y a deux semaines, un article paru dans The Telegraph rapportait les propos du chef d’état-major de la Défense de la Grande-Bretagne, Sir Tony Radakin, selon lequel ceux et celles qui prétendent que le président russe Vladimir Poutine serait affligé d’une santé en détérioration ou serait potentiellement la cible d’une tentative d’assassinat se bercent d’illusion. Dit autrement, le grand patron du Kremlin est toujours bien en selle.
Un argument renforcé à la lecture d’une étude récente de l’Ifri (l’Institut français des relations internationales) sous la plume du chercheur Régis Genté, lequel est également coauteur de la biographie Volodymyr Zelensky – Dans la tête d’un héros (Robert Laffont) que je recenserai bientôt sur cette page. C’est ainsi que Cercles dirigeants russes : Infaillible loyauté au système Poutine? dresse la carte du système planétaire qui gravite autour de l’astre russe.
D’entrée de jeu, le spécialiste de la Russie constate que depuis l’invasion de l’Ukraine, « […] le 24 février 2022, aucun membre important des cercles dirigeants russes n’a fait défection. » Il y a bien le cas Anatoli Tchoubaïs, mais c’est une autre histoire puisqu’il ne faisait pas partie du cercle rapproché du pouvoir. Tout cela pour dire qu’il appert que l’élite dirigeante du pays est stable et solide depuis des années. L’auteur s’attarde donc à nous faire connaître les raisons de cette résilience.
Ce sont les Piterski – ou le groupe de Saint-Petersbourg – qui forment la colonne vertébrale du système. Ils jouissent d’un accès direct au président. Ne dit-on pas que la proximité, c’est le pouvoir? Viennent ensuite les siloviki issus des services de sécurité. Ils forment la garde prétorienne en quelque sorte. Il y a enfin les civiliki, des hauts fonctionnaires qui doivent leur ascension – et donc leur loyauté – à Vladimir Poutine. Ils forment le groupe le plus important en nombre et l’actuel premier ministre Mikhaïl Michoustine en est issu.
Plusieurs théories circulent sur la nature du pouvoir de Vladimir Poutine et son fonctionnement. Selon Régis Genté, le président russe « nourrit une conception profondément élitiste du pouvoir ». Dans un rapport coûts/bénéfices et une philosophie managériale plus qu’autre chose, les avantages consentis à ceux qui gravitent autour de lui doivent être largement supérieurs aux inconvénients.
« Le régime poutinien s’est construit avec et autour des cercles dirigeants, à condition qu’ils lui soient loyaux et l’aident à perdurer. » Chacun doit contribuer. Si les initiatives proposées sont porteuses de succès, le membre est conforté dans sa position. L’auteur cite à cet égard le cas de Igor Setchine – président du conseil d’administration de la société pétrolière russe Rosneft – qui a investi dans le secteur de la recherche génétique jugé crucial par le président. On pourrait aussi parler de la société Wagner de l’oligarque Evgueni Prigojine. Dans le cas contraire, le personnage qui avait fait la promotion de la mauvaise idée peut s’attendre à ne pas être invité au prochain barbecue. On cherche donc à éviter les écueils et à ne pas déplaire au grand patron.
Deux facteurs assurent donc la loyauté des membres de l’establishment poutinien. Les siloviki veillent au grain (le bâton), mais le président peut aussi miser sur le fait que « très peu [parmi les membres de l’élite] ont les capacités de faire véritablement fructifier leur fortune hors de Russie » (la carotte). Dans le contexte où plusieurs experts et observateurs observent que les sanctions imposées par l’Occident n’occasionnent aucune blessure mortelle aux caciques du Kremlin sur le plan financier, ces deux facteurs contribuent inévitablement à la stabilité du système Poutine, et ce, même dans le contexte de la guerre en Ukraine.
L’une des citations les plus éclairantes émaillant l’analyse de Régis Genté est celle du politiste russe Vladimir Guelman, selon lequel « les régimes autoritaires s’effondrent à cause des conflits internes, pas à cause des protestations. »
Ce n’est donc pas la rue qui risque de faire tomber Vladimir Poutine. Tant que les cercles dirigeants russes demeureront loyaux et stables, il peut dormir sur ses deux oreilles.
À l’heure où à peu près n’importe qui s’improvise spécialiste de la Russie et de son président dans les médias et prétend savoir ce qui se passe dans les couloirs feutrés du Kremlin et les salons douillets des datchas appartenant à ceux qui sont bien en cour, le chercheur apporte une lecture documentée, rigoureuse et j’oserais même dire essentielle de la constellation Poutine.
Une étude essentielle pour quiconque s’intéresse à la nature et au fonctionnement du pouvoir russe.
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Régis Genté est l’auteur avec Stéphane Siohan de la biographie Volodymyr Zelensky – Dans la tête d’un héros publiée en mai dernier chez Robert Laffont.