Pie XII au milieu des loups

Je le confesse, mes premiers contacts avec Pie XII ont été difficiles. L’image du pape aux sympathies gammées avait la vie dure dans mon esprit d’étudiant. C’était avant que celui qui fut mon meilleur professeur d’histoire à l’université, un prêtre au jugement acéré, ne me guide vers une compréhension plus profonde – donc plus sérieuse – de ce Souverain pontife assujetti au devoir et à la prudence.

C’est donc avec un plaisir immense que j’ai dévoré le dernier livre de l’historien Frédéric Le Moal, Pie XII : Le pape face au Mal (Éditions Perrin). Avant même d’en lire la première ligne, je savais à quoi m’attendre – pour avoir recensé Les hommes de Mussolini – en termes de qualité de recherche sous une plume hors du commun.

En un peu moins de 400 pages, le brillant auteur brosse le portrait tout en nuance d’un personnage compliqué, mais conséquent. Tout dévoué à sa mission, Pie XII a navigué dans les eaux troubles de deux conflits mondiaux dévastateurs et du début de la Guerre froide, tout en menant la barque de l’Église universelle. Après avoir été nonce en Allemagne, son ministère s’est poursuivi en tant que Secrétaire d’État d’un pape bouillant, Pie XI. À la suite du décès de ce dernier, les cardinaux lui confient la charge pontificale le 2 mars 1939, six mois avant que les troupes nazies envahissent la Pologne.

À propos de Pie XII, l’éléphant dans la pièce demeure son prétendu silence face à Hitler. À un collègue diplomate qui le questionne, en 1929, concernant le leader de la horde brune, « il [Eugenio Pacelli, futur Pie XII] lui décrivit la vie d’un « agitateur politique mal famé qui porte le nom d’Adolf Hitler » en apportant une précision importante : « Inutile d’ajouter que je n’ai moi-même, durant mon séjour à Munich, jamais eu un quelconque contact personnel avec lui. » » Cette position n’a pas vocation à évoluer dans un sens positif. Une décennie plus tard, des conspirateurs veulent renverser Hitler. On souhaite donc prendre langue avec le Saint-Père, afin que celui-ci puisse les aider à « libérer l’Allemagne de son dictateur ». L’amiral Canaris, patron de l’Abwehr (le service de renseignement militaire), se souvient « très bien de l’aversion de Pacelli pour le chef de bande nazi. » Le projet n’aboutira pas, mais quand même. Pie XII, pape d’Hitler? Pas vraiment. Pas du tout même.

Avant de succéder à Pie XI, le cardinal Pacelli n’hésitait pas à mouiller sa chemise – pardon, sa soutane – pour soutenir l’opposition au régime de Berlin. À cet égard, Frédéric Le Moal relate une intervention radiophonique qui s’est produite le 1er avril 1938, au cours de laquelle « les auditeurs de Radio Vatican purent entendre une retransmission en allemand dans laquelle le speaker inconnu mettait sur le même plan nazisme et communisme, dénonçait les pasteurs incapables de faire la différence entre un agneau et un loup, et critiquait leurs prises de position politiques. » Cette intervention avait été corrigée et approuvée par le Secrétaire d’État. L’auteur révèle également, qu’une fois devenu pape, Pie XII « s’impliqua jusqu’à un niveau très élevé dans une opération de renversement du régime nazi. » Un scénario digne de Ian Fleming. Mais ici, la réalité rejoint la fiction et le Vicaire du Christ devient « l’homme des secrets et de l’ombre. »

Politique jusqu’au bout des doigts, celui qui fut le « meilleur diplomate du Saint-Siège » doit cependant avancer « à pas de loup » et ne laisser aucune empreinte. Pie XII est conscient qu’une ligne très mince le sépare d’un kidnapping par les nazis. Après tout, Napoléon ne l’avait-il pas fait avec Pie VII en 1809? Le réalisme qui lui est chevillé au corps s’avère instrumental.

Cette notion de réalisme revient d’ailleurs à de très nombreuses reprises dans le texte, l’auteur voulant ainsi nous faire comprendre l’un des principaux traits de cet homme d’Église qui abominait l’oisiveté, ne dérogeait pas à sa promenade quotidienne et s’échinait au travail notamment par une méticuleuse capacité rédactionnelle. À propos de ce souci du détail – que d’aucuns pourraient associer à de la microgestion – on comprend aisément que toutes les interventions posées par le Saint-Siège durant la Seconde Guerre mondiale pour venir en aide aux victimes de la guerre – notamment sous l’égide de Mgr Giovanni Battista Montini, le futur pape Paul VI – auraient été impossibles sans le nihil obstat papal. « Les documents ont parlé et ont confirmé ce que nous savions déjà : Pie XII a agi pour sauver le maximum de persécutés, juifs convertis au catholicisme ou non, dans un cadre à la fois légal et clandestin. »

Trois mots émaillent fréquemment le propos du biographe-chercheur : archives, documents et documentation. Pour avoir moi-même effectué des recherches aux archives secrètes du Vatican par le passé, je ne peux que lever mon chapeau au travail – de bénédictin devrais-je ajouter – accompli par le spécialiste des relations internationales pour seconder ses affirmations. C’est tout le mérite de Frédéric Le Moal d’être demeuré éloigné du rayon des fantasmes et des a priori. Cette biographie d’un personnage méconnu et mésestimé s’appuie sur un roc aussi solide que le siège pétrinien qu’il servit jusqu’à son dernier souffle.

Pourquoi alors tant de haine et d’incompréhension envers ce berger des âmes qui dut affronter le Mal? La réponse est simple. « Pie XII, indique Frédéric Le Moal, se retrouve au cœur de la guerre de position que se livrent progressistes et conservateurs. Une cible pour les uns, un étendard pour les autres. » Il n’en faut guère plus pour réaliser que les débats à son sujet – notamment à l’aune de sa cause en canonisation – ne sont pas prêts de s’éloigner. Parce que, comme le constate si bien Hubert Védrine « on ne dément pas un fantasme ».

Une biographie qui fait déjà date.

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Frédéric Le Moal, Pie XII : Le pape face au Mal, Paris, Éditions Perrin, 2024, 432 pages.

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