Ne cherchez pas à savoir pourquoi, mais la fête de Pâques me fait toujours penser à la Russie. J’ignore d’où ça vient, mais c’est comme ça.
Il est donc à propos que je publie quelque chose à propos de ce pays en cette fin de semaine pascale.
On le sait, Vladimir Poutine flotte dans une aura de mystère et d’incompréhension. Homme le plus dangereux du monde pour les uns, objet de curiosité pour plusieurs ou figure inspirante pour les autres, celui qui est aux commandes de la Russie depuis 20 ans laisse peu de gens indifférents. Et ça lui fait probablement bien plaisir, puisque son positionnement médiatique enviable est proportionnel à l’influence qu’il souhaite son pays voir occuper sur la scène internationale.
Le personnage me fascine depuis longtemps et je suis toujours à la recherche de bonnes lectures pour mieux le connaître – au-delà des attaques en règle ou de l’hagiographie.
Le portrait que brosse Mark Galeotti du président russe dans We Need to Talk About Putin : How the West gets Him Wrong mérite assurément de faire partie des lectures incontournables à propos de ce chef d’État.
Selon l’auteur, les malentendus dans nos relations avec la Russie découleraient de notre incompréhension de celui qui la dirige. D’où la nécessité de mieux en comprendre les ressorts.
Acteur politique rationnel, Poutine serait d’abord et avant tout un pragmatique désireux de faire en sorte que la Russie soit respectée sur la scène internationale. Fondamentalement loyal, le dirigeant n’aimerait pas prendre de risques (l’épisode ukrainien serait une erreur de parcours découlant de mauvais conseils selon l’historien britannique) et ne serait pas un idéologue. Il dérogerait également aux normes de plusieurs Russes de sa génération, en épousant une approche positive et inclusive envers les femmes.
Alors que les pays de l’ancien Bloc de l’Est sont une région du globe où l’antisémitisme se métastase avec la montée de l’extrême-droite (comme en Pologne), l’individu ne saurait être accusé d’aucun travers antisémite « dans un pays affichant une histoire sombre dans sa relation avec la communauté juive. » Finalement, pour répondre à l’accusation selon laquelle tous les ennemis du locataire du Kremlin se font zigouiller, Mark Galeotti intitule l’un de ses chapitres « Les ennemis de Poutine ne meurent pas tous » (après tout, Alexei Navalny est toujours vivant), exposant que « les Russes ont plus de chances de succomber à des rivalités criminelles ou d’affaires qu’en raison de démêlés avec le régime. »
Cela n’est pas sans me rappeler mon séjour à Moscou, au cours duquel j’avais aperçu la voiture d’un banquier devant mon hôtel, gardé par un agent de sécurité (qui ressemblait davantage à un mercenaire) armé jusqu’aux dents et se tenant prêt à appuyer sur la gâchette de son AK-17. Toute personne s’intéressant de près ou de loin à l’histoire de la Russie sait que le climat de violence fait partie du tissu social et politique de ce pays depuis des siècles. Il n’est donc pas étonnant que Poutine ait revêtu l’armure publique d’une personnalité forte, puisque « si les gens croient que vous êtes puissants, vous êtes puissants. »
L’auteur attribue les crimes politiques (notamment l’assassinat de Boris Nemtsov) au climat qui s’est fait jour autour des cercles du pouvoir. Même si une commande n’est pas donnée directement, le message passe subtilement et les basses œuvres sont exécutées. Avec un humour noir, il observe que Poutine est un autocrate miséricordieux. Vous ne tomberez pas sous les balles d’un tueur si vous ne l’obligez pas à vous acheminer prématurément vers le Créateur. Ne franchissez donc pas la ligne. Je me questionne cependant à savoir si Poutine cautionne ce système d’emblée ou s’il ne fait que l’instrumentaliser pour demeurer au pouvoir. Je ne retiendrai pas mon souffle en attendant la réponse. C’est brutal et je suis à des années lumières d’être à l’aise avec les règlements de conflits à coups de pistolet ou d’attentats, mais c’est la réalité.
Cela dit, j’ai été étonné de lire que VVP (c’est par ses initiales que plusieurs désignent souvent le chef d’État russe) serait également un sentimental, mais j’aurais dû m’en douter puisque la personnalité très dominante du président russe masque assurément, comme chez tous les individus, des blessures que l’on tient à protéger derrières les barbelées d’une posture « macho ». Mais je ne veux pas jouer les psychologues amateurs.
L’intérêt du travail de Mark Galeotti repose sur le fait que Vladimir Poutine est assurément mal perçu et visiblement mal compris en occident. Depuis longtemps, je suis d’avis que le tsar actuel est une bien meilleure option pour plusieurs que ceux qui pourraient vouloir ou être appelés à le remplacer.
L’historien adresse donc une mise en garde à l’effet que « Toute interférence plus active ou agressive entrainerait probablement des réactions actives et agressives, accordant plus de pouvoir à ces ultranationalistes que Poutine est parvenu à contenir. Le personnage n’est ni un fanatique, ni un lunatique et une Russie vivant dans la stabilité est moins dangereuse que si elle évolue dans le chaos. »
On ne pourrait saurait donc en vouloir à ceux qui souhaitent que les faucons ne délogent pas l’aigle de son nid.
S’il est un défaut dont j’affublerais ce livre, c’est qu’il est malheureusement beaucoup trop court. J’aurais bien avalé plusieurs pages supplémentaires rédigées par cette plume renseignée et agréable.
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Mark Galeotti, We Need to Talk About Putin: How the West Gets Him Wrong, London, Ebury Press, 2019, 143 pages.