La vie a été formidablement généreuse avec moi, en me permettant de vivre en Écosse en 2014-2015. J’y ai d’ailleurs déposé mes bagages un 11 septembre… J’ai alors pris la mesure de toute l’affection que portait ce peuple fièrement enraciné dans un héritage singulier envers la Reine Elizabeth II.
Je regardais avec attention les images diffusées par la BBC du cortège transportant la dépouille de notre défunte souveraine en partance du château de Balmoral vers Édimbourg. Ces images ont fait jaillir de magnifiques souvenirs dans mon coeur et ma mémoire. Il en a été ainsi en parcourant les pages du plus récent livre de Jean des Cars Pour la reine : Hommage à Elizabeth II (Perrin).
On y découvre les principaux traits de personnalité d’une souveraine d’exception qui savait être subtile et pragmatique et dont la principale qualité était la loyauté. « Lorsqu’elle [faisait] une promesse, [elle] ne renon[çait] jamais », écrit celui qui est probablement le meilleur spécialiste francophone de la monarchie britannique. L’autre qualité qui fut incontestable durant tout son règne fut le sens du devoir, et ce, au prix de sacrifier l’aspiration d’une vie normale. « Quand son père a été proclamé souverain, Elizabeth est devenue princesse héritière. Son destin est tracé. Désormais, cette petite fille de dix ans, déjà sérieuse et responsable, sait qu’elle devra le rester toute sa vie. »
Depuis Guillaume le Conquérant qui s’est emparé de la couronne au soir de la bataille de Hastings le 14 octobre 1066, la monarchie britannique s’est manifestée en la personne de 42 souverains et 9 dynasties, de nous rappeler Jean des Cars dans une autre biographie d’Élizabeth la Grande. La continuité et la tradition sont des maîtres-mots qui sous-tendent toutes les actions de celle ou celui qui occupe le trône.
Dans son enfance, la jeune Elizabeth fut privilégiée de vivre une relation des plus affectueuses avec son grand-père, George V, qui lui voue une « véritable passion ». Elle séjourna d’ailleurs avec celui-ci à Balmoral. L’Écosse, déjà. Jean des Cars relate également qu’à son retour d’un séjour de convalescence au bord de la mer, « le monarque organise un nouveau rituel avec sa petite‐fille : chaque matin, au petit‐déjeuner, elle doit se placer devant une fenêtre de l’hôtel de ses parents au 145 Piccadilly, donnant sur Green Park. Au même moment, au bout de ce parc, en face, son grand‐père sera devant une fenêtre de Buckingham Palace. Ils se feront un signe de la main, chaque matin. »
Quelques décennies plus tard, la Reine invitera son petit-fils, le Prince William, à déjeuner avec elle et le Prince Philip les dimanches puisque celui-ci fréquente le collège d’Eton, situé à quelques encablures du château de Windsor. Consciente qu’il sera un jour appelé à suivre ses traces, « […] elle consacrera une partie de l’après‐midi à évoquer son rôle futur dans le fonctionnement de la monarchie. » Tradition et devoir étaient alors conjugués avec l’amour d’une grand-mère pour ce petit-fils qui partagera un jour son destin.
Tout n’a cependant pas toujours été idyllique dans la vie et le règne d’Élizabeth II. L’historien des monarchies nous rappelle ainsi la tragédie survenue dans le village minier gallois de Aberfan en 1966. La Reine avait tardé à répondre à cette catastrophe dépeinte de manière touchante dans la série The Crown. On peut également penser à ses relations difficiles avec la Première ministre Margaret Thatcher, les déboires matrimoniaux très médiatisés de trois de ses enfants et l’annus horribilis de 1992. Stoïquement, Elizabeth II a appris de ces coups qui lui ont été portés, faisant preuve d’une capacité d’adaptation légendaire et tout à fait remarquable.
Je retiens finalement du travail exceptionnel de l’auteur – qui synthétise avec brio un règne de 70 ans en un peu plus de 200 pages – le fait que la Reine était à moitié écossaise, par sa mère, et qu’elle est demeurée toute sa vie attachée à cette terre légendaire où elle aimait prendre le volant de son Range Rover dans le Aberdeenshire. À preuve, l’historien écrit dans une autre biographie de la Reine que le prénom Charles qu’elle donnera à son fils aîné était jusque-là « […] porté par les rois Stuarts », ce qui représentait « […] un hommage particulier à l’Écosse », de la part de celle qui savait apprécier la beauté incomparable et le caractère inspirant du climat qui enveloppe le pays des Pictes.
Combien d’anecdotes sur la Reine et le Duc d’Édimbourg ai-je entendues lorsque je déambulais dans la capitale écossaise ou que je parcourais les bucoliques Highlands? Je réalise aujourd’hui que comprendre et aimer cette contrée fantastique, c’est aussi mieux déchiffrer et apprécier pleinement la personnalité d’Elizabeth II.
À lui seul, ce thème pourrait faire l’objet d’un livre de Jean des Cars et il ne fait aucun doute dans mon esprit qu’il parviendrait à nous proposer une lecture fascinante et riche d’informations pertinentes.
Pour l’avenir et ayant été en mesure de constater la relation privilégiée qui existe également entre le nouveau roi Charles III et l’Écosse, il m’est donné de croire que le nouveau chapitre des relations entre la couronne et le chardon sera tout aussi significatif que celui qui aura été écrit sous Elizabeth II.
Au final, je suis reconnaissant d’avoir eu le privilège de vivre quelques mois dans cette région du royaume qui était si chère à son cœur et à Jean des Cars de nous offrir dans la langue de Molière des ouvrages rigoureux, accessibles et passionnants qui permettent de mieux connaître, apprécier ou même découvrir l’institution qui constitue le socle de la société des descendants de Shakespeare.
En cette semaine où nous rendons un hommage particulier et mérité à cette Reine qui faisait partie de nos vies, Pour la reine est une lecture incontournable.
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Jean des Cars, Pour la Reine : Hommage à Elizabeth II, Paris, Perrin, 2022, 240 pages.
Je tiens à remercier Céline Pelletier de Interforum Canada de m’avoir fait parvenir un exemplaire de ce livre et à Claudine Lemaire des Éditions Perrin pour sa continuelle et généreuse collaboration avec ce blogue.