L’évacuation de Kaboul

« L’Afghanistan est un pays facile à envahir, difficile à tenir, dangereux à quitter », observe David Martinon dans son époustouflant livre Les 15 jours qui ont fait basculer Kaboul (Éditions de l’Observatoire). J’étais impatient de me procurer cet ouvrage, de le parcourir et de le recenser. J’étais littéralement glué aux bulletins de nouvelles dans les dernières semaines de cet été 2021, alors que les forces occidentales opéraient un retrait en catastrophe de l’Afghanistan qui tombait chaque jour davantage aux mains de la horde talibane.

Et j’ai été ravi.

J’avais bien lu quelques articles dans Le Figaro à propos de cet ambassadeur charismatique qui fut porte-parole de la présidence de la République sous Nicolas Sarkozy en prime. Quel ne fut pas mon plaisir de lire sa plume alerte mais souvent angoissante, au fil du récit de l’une des pages les plus tragiques de l’histoire contemporaine.

Tout d’abord, David Martinon ne met pas de gants blancs pour aborder son sujet. Pour lui, l’échec afghan résulte du fait que l’action internationale « n’est parvenue ni à vaincre l’insurrection ni à mettre le pays sur la voie d’une stabilisation durable. »

Alors que les représentants des autres capitales européennes et les responsables afghans se bercent d’illusion – les choses reviendront à la normale avec l’arrivée aux commandes de Joe Biden selon le président afghan Ashraf Ghani dont le leadership est tout sauf inspirant – l’ambassadeur français se prépare activement au retrait de son pays.

Le diplomate met donc en branle les opérations exigeantes et méticuleuses qui conduiront – sous haute tension, un stress à couper au couteau et les exigences physiques bien palpables même sur papier – à effectuer 28 vols d’extractions et 2805 personnes évacuées entre le 17 et le 27 août à partir de l’aéroport international Hamid Karzai (KAIA).

Dans un passage où la fable de la cigale et de la fourmi me saute aux yeux, il écrit que « nos partenaires, notamment européens, qui critiquaient au printemps notre décision de mettre à l’abri de manière ordonnée nos personnels afghans, sont pris au dépourvu et se tournent vers nous pour demander des conseils. » Difficile de trouver un meilleur exemple de la nécessité d’être préparé à toute éventualité… Et de constater à quel point certaines capitales se sont bercées de leurs propres illusions.

Chemin faisant, David Martinon détaille le travail héroïque des membres de son équipe, des membres des forces spéciales qui évoluent dans « la tranquillité de ceux qui ont l’habitude de se confronter au feu » (avouez que la formule a du panache), tout en verbalisant une sincère reconnaissance au travail de ses alliés américains qui vont plus loin que ce à quoi il serait en droit de s’attendre dans les actions visant à l’aider à extraire les protégés de la France du cauchemar qui s’en vient à mesure que le retrait américain se concrétise.

Impossible de ne pas admirer le professionnalisme, la bravoure et le dévouement des militaires qui ont assuré la sécurité du repli de l’occident. « Une fois terminé leur tour de garde au poste le plus avancé [à l’aéroport de Kaboul], les hommes [Marines américains et parachutistes britanniques] reculent de cent mètres, dorment par terre, dans la zone tampon, par rotation, dans les odeurs de merde et de pisse. » C’est cru, mais c’est la réalité.

Le britannophile que je suis ne saurait passer sous silence les nombreuses mentions faites à ces valeureux combattants Gurkhas – probablement les meilleurs guerriers au monde qui sont également intimement liés à l’histoire militaire britannique depuis le 19e siècle – qui ont assuré la protection de l’ambassade de la France jusqu’à la fin. Valeureux « […] au combat, courageux, disciplinés et bons tireurs », il témoigne également « […] de leur discipline : en cas d’attaque contre l’ambassade, ils auraient été les premiers au front, les hommes en repos entraînés à rejoindre leur poste de tir en moins de trente secondes, en caleçon, porte‐plaques et kalachnikov. Nous nous sommes reposés en toute confiance sur eux. »

Décidément, ces braves fils du Népal ont tout pour figurer au sommet de mon admiration.

Les 15 jours qui ont fait basculer Kaboul est un livre dont je pourrais vanter les vérités sur plusieurs paragraphes encore. Mais si on ne doit en retenir qu’une chose, c’est l’importance accordée par un diplomate et ses valeureux acolytes à faire tout ce qu’il faut – et encore plus – pour porter fièrement les couleurs et les valeurs de son pays dans l’adversité la plus imprévisible et dangereuse. Pas une fois, on ne sent David Martinon fléchir ou douter dans sa détermination à sauver le plus de gens possibles des griffes de la terreur, tout en assurant la protection de ceux dont il est comptable.

Le récit offert par David Martinon est tout de même épeurant. Parce qu’on ne gagne pas des guerres – et encore moins de combats civilisationnels – avec des évacuations comme le disait si bien Winston Churchill.

Un livre à dévorer, à apprécier et à méditer. Pour admirer à sa juste valeur la contribution de ces hommes et de ces femmes d’exception qui montent en première ligne lorsqu’il le faut et lorsque nous en avons le plus grand besoin.

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David Martinon, Les 15 jours qui ont fait basculer Kaboul, Paris, Éditions de l’Observatoire, 2022, 304 pages.

Je tiens à remercier Mme Simone Sauren, directrice des communications des éditions Flammarion à Montréal pour l’aide incomparable qu’elle procure à ce blogue et pour m’avoir fait parvenir un exemplaire de ce livre.

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