« Il y a chez cet homme du Churchill et du Clemenceau »

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky parcourant les tranchées qui contribuent à défigurer son pays depuis le début de la guerre lancée par la Russie. (source: Kyiv Post)

Le général d’armée Henri Bentégeat est un militaire français qui a servi en tant que chef de l’état-major particulier du président de la République entre 1999 et 2002 et chef d’état-major des armées de 2002 à 2006. Il est l’auteur de deux excellents livres, Chefs d’État en guerre et Les ors de la République, tous deux publiés chez Perrin.

Je suis privilégié de le compter parmi mes interlocuteurs appréciés. Le général Bentégeat tient à conserver un devoir de réserve, pour ne pas porter ombrage à son successeur, le général Thierry Burckhart. Ce qui est très louable. Il a néanmoins accepté de partager quelques observations à propos du leadership de guerre du président ukrainien Volodymyr Zelensky.

« Qu’attend-on d’un chef d’État confronté à la guerre », de se questionner réthoriquement l’ancien proche collaborateur des présidents Mitterrand et Chirac? « D’abord, une vision claire des enjeux, ensuite une capacité à se fixer des buts de guerre ambitieux et réalistes, enfin la capacité à mobiliser l’ensemble des ressources du pays pour conduire la guerre; accessoirement, le choix de chefs militaires compétents et loyaux. Selon ces critères, le président ukrainien est parfaitement à la hauteur de ses lourdes responsabilités. »

L’issue du conflit est encore incertaine, mais la place de Zelensky dans l’Histoire est déjà acquise. 

« Son point fort est d’avoir insufflé à son peuple une volonté farouche de défendre pied à pied le territoire national en incarnant la résistance à l’envahisseur. Il y a chez cet homme du Churchill et du Clemenceau. On peut avoir été comédien et acteur et savoir jouer sa partition dans la vie réelle; On pense à Reagan qui fut habile et ferme en politique extérieure. Le plus frappant est sa maîtrise de la guerre de l’information qu’il a gagnée jusqu’ici. Son narratif lui a permis de gagner et conserver l’appui des démocraties occidentales. L’issue du conflit est encore incertaine, mais sa place dans l’Histoire est déjà acquise. »

Il apparaît ici utile de replonger dans deux chapitres de Chefs d’état en guerre, question de comprendre pourquoi le général Bentégeat fait référence au premier ministre français Georges Clemenceau et de son vis-à-vis britannique Winston Churchill, qui étaient respectivement à la barre de leur pays durant la Première et la Seconde Guerres mondiales.

Pendant la Première Guerre mondiale, Clemenceau arpentait les tranchées inlassablement, consacrant près du tiers de son temps à des visites au front. 

L’auteur évoque donc le « courage physique » de Clemenceau, doublé d’un caractère irascible. Il aborde également le fait que celui que l’on surnommait le Tigre « […] arpente les tranchées inlassablement, consacrant près du tiers de son temps à des visites au front » et sa capacité à restaurer « […] le moral et la confiance de la Nation. » Pour ce qui est du grand Churchill, l’observateur du leadership en temps de guerre le crédite « d’avoir mobilisé le peuple britannique tout entier pendant cinq ans autour d’un gouvernement d’union nationale » et d’avoir été « [l’] un des pionniers de l’usage politique des médias […].» Voilà brièvement pourquoi le général y reconnaît des caractéristiques qui sont aussi présentes dans le leadership de guerre de celui dont le leadership inspire depuis la rue Bankova à Kyiv.

Pour en revenir à la guerre qui défigure actuellement l’Ukraine, le général Bentégeat observe que Volodymyr Zelensky dispose d’un avantage sur ses adversaires. « Il connait parfaitement le fonctionnement du Kremlin et de l’establishment russe, car il est né dedans. D’où, notamment, les succès ukrainiens dans le cyberespace. Les hackers de Kiev viennent du même vivier que leurs homologues russes. »

L’hiver est probablement la saison la plus difficile pour livrer bataille. Elle est porteuse de défis incommensurables. Hitler et Napoléon avant lui ont fait partie de ses illustres victimes. À l’approche de cette saison, je ne pouvais m’empêcher de questionner mon interlocuteur à ce sujet.

Le plus préoccupant est cependant le sort de la population ukrainienne que les Russes pourraient priver d’électricité et donc de chauffage. Ils s’y emploient déjà activement.

« Sans bien connaitre le terrain, d’exprimer le général à la retraite, je peux hasarder l’idée que la pluie et la neige rendront les offensives plus difficiles. Les forces russes pourraient être handicapées par un soutien logistique défaillant. Le plus préoccupant est cependant le sort de la population ukrainienne que les Russes pourraient priver d’électricité et donc de chauffage. Ils s’y emploient déjà activement. Il pourrait en résulter un fléchissement du moral qui pourrait contraindre Zelensky à la négociation. À contrario, les souffrances de ce peuple pourraient inciter les occidentaux à accroitre leur aide militaire. »

La guerre est loin d’avoir dit son dernier mot en Ukraine et le leadership de Volodymyr Zelensky continuera d’intriguer les observateurs que nous sommes. Je suis donc infiniment reconnaissant envers le général Bentégeat d’avoir accepté de partager la sagesse de son expérience et de ses connaissances.

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Le plus récent livre du général Bentégeat, Les ors de la République (Éditions Perrin), se veut une lecture fascinante qui relate son expérience de premier plan auprès des présidents Mitterrand et Chirac à l’Élysée.

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