La présidence des États-Unis se prévaut d’une influence inégalée dans le monde. Pas une journée ne s’écoule sans que les plateformes d’informations ou de médias sociaux n’y fassent référence. Parfois, elle agace en raison de la perception véhiculée à propos de celui qui est appelé à travailler dans le Bureau Ovale. Acteur de série B, Ronald Reagan était vilipendé pour son prétendu déficit d’intellect. Idem pour George W. Bush. Mais jamais elle ne cesse de captiver. Et c’est redevable à la personnalité de ces grandes pointures qui sont parvenues à succéder aux immortels que sont devenus George Washington, Thomas Jefferson ou Abraham Lincoln.
C’est justement avec ce dernier que Thomas Snégaroff débute son fascinant ouvrage Dans l’intimité des présidents américains (Tallandier). En le choisissant pour présider aux destinées de la nation, « les Américains veulent élire un homme qui leur ressemble, et surtout qui met en musique le mythe d’une Amérique des possibles. » Au-delà des prises de position et des événements cruciaux qui jalonnent l’histoire des États-Unis, l’auteur s’emploie à éclairer un aspect fondamental de chacune des personnalités alimentant les portraits esquissés, c’est-à-dire son inimité, parce qu’ « elle donne à voir, derrière les grands discours et les beaux costumes, la vérité d’un homme. »
Mon père aimait toujours dire que « là où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie. » En parcourant ce livre fascinant, l’historien permet de découvrir que ceux qui auront le privilège de déambuler au son de Hail to the Chief sont radicalement humains. Thomas Snégaroff relate que l’un d’entre eux, Franklin D. Roosevelt, a construit son héritage sur des mensonges – à propos de son état de santé. Trois de ceux qui l’ont précédé au poste de commandant en chef, Lincoln, Harding et Coolidge, avaient pour leur part souffert de dépression. Quant à Harry S. Truman et Richard Nixon, ceux-ci ont été aux prises avec de sérieuses difficultés financières.
On se souvient de Lyndon B. Johnson, principalement en raison de la guerre du Vietnam et de la Grande Société, mais aussi à cause de ses mauvaises manières. Son prédécesseur, le débordant de charisme John F. Kennedy, est contraint de vivre « un destin écrit par d’autres, pour un autre que lui. » La lectrice ou le lecteur aura compris que l’auteur en était son père, l’inoxydable Joe, qui souhaitait que son frère Joe Jr. accède aux plus hautes fonctions. Ce rêve se fracassa lorsque son avion disparut durant une mission effectuée pendant la Seconde Guerre mondiale. Quelques mandats présidentiels plus tard, on dira de Jimmy Carter qu’il a désacralisé la fonction. Celui qui lui fit mordre la poussière en 1980, le toujours souriant Ronald Reagan, joue tellement bien son rôle que « les Américains ignorent tout de son audition défaillante, causée en 1939 par un coup de feu sur un tournage. » Quant à Bill Clinton, ce politicien au talent éloquent, il sera accusé de harcèlement sexuel.
Le portrait qui retient ma préférence est incontestablement celui consacré à l’exubérant Theodore Roosevelt. Cela dit, chacun des 20 présidents dépeints par Thomas Snégaroff permet de mesurer la perspicacité de Woodrow Wilson – qui fut à la tête du pays entre 1913 et 1921 – lorsqu’il affirmait que « les hommes qui sont des saints dans la vie privée peuvent être de piètres leaders. » Ce ne sont là que quelques-unes des révélations dont le livre foisonne.
La grandeur associée à la fonction présidentielle peut facilement nous mener à y associer un éloignement des préoccupations du commun des mortels. Le président prendrait place avec les dieux de l’Olympe. Il n’en est rien et l’auteur doit être remercié pour sa capacité à nous le faire comprendre sous une plume agréable.
Pris individuellement, plusieurs des présidents des États-Unis pourraient facilement, du fait de leurs défauts et leurs manquements, être considérés comme ayant été des anomalies dans les annales. C’est toutefois en s’intéressant de près à l’ensemble de la galerie POTUSienne que l’on peut mesurer l’épaisseur humaine de cette institution mythique. Ce mythe est incontestablement nourri par le pouvoir colossal dont elle est investie et porteuse. Il y a fort à parier que nous y reconnaissons, consciemment ou non, une manière d’entrer dans le sillon de ces géants de la vie publique qui laissent leur marque malgré leurs imperfections.
Malgré le côté rafraichissant d’une levée de rideau permettant d’épier la vraie nature des différents chefs de l’exécutif, le président des États-Unis et sa garde rapprochée doivent malgré tout veiller à entretenir ce côté sacré qui alimente le respect et suscite l’adhésion. Sans quoi, l’institution basculerait dans un ordinaire courtisant le détachement. L’influence des artisans qui s’échinent entre les murs de la West Wing piquerait alors du nez. La politique, ce jeu d’équilibriste.
Dans l’intimité des présidents américains est un véritable régal pour tout amateur de politique américaine qui y plongera le nez ou l’enthousiaste souhaitant mieux connaître cette fonction dont les prérogatives régaliennes ressemblent à celles dont les empereurs romains pouvaient jadis se réclamer. Celles et ceux qui souhaiteraient contester ce postulat n’ont qu’à se rappeler que le blason du président s’inspire de l’aigle… romain! Sic itur ad astra.
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Thomas Snégaroff, Dans l’intimité des présidents américains, Paris, Tallandier, 2024, 224 pages.
