
« Son corps alourdi n’était qu’apparence. Il sentait ses 20 ans couler dans ses veines. »
Quelques mois après la campagne de Russie (1812) et la funeste bataille de Leipzig (1813), Napoléon est pourchassé par ses ennemis et engagé dans une lutte pour sa survie. Pour la première fois depuis ses débuts, le virtuose de la bataille voit l’adversaire envahir son pays. Même si « l’empereur français n’avait pas beaucoup d’hommes, encore moins de chevaux, et pas assez de canons, le nom de Grande Armée semblait renaître dans l’hiver champenois avec le renom de son chef. »
Sous une plume alerte, Michel Bernard invite la lectrice ou le lecteur à suivre celui qui « […] s’était taillé son uniforme de général à coups de sabre » sur les sentiers de l’Hiver 1814, dans sa voiture « à la lumière d’une lanterne », bivouaquant dans les presbytères ou remettant une importante somme d’argent à des religieuses dévouées afin qu’elles puissent poursuivre leur mission salvatrice auprès des victimes des hostilités.
Cette véritable épopée se voulait non seulement une tentative désespérée pour remporter sur le terrain les gains nécessaires à la survie du régime dans les négociations face aux Alliés russes, prussiens et autrichiens, mais c’est aussi un véritable retour dans le temps pour celui qui avait passé une partie de sa jeunesse à l’École militaire de Brienne, sur cette terre enneigée et empreinte de nostalgie où se déroulaient maintenant les combats.
La « légende en redingote grise » (le propos de Michel Bernard est fréquemment émaillée de ces formules délicieuses qui rendent l’histoire captivante) aura beau avoir conquis une partie de l’Europe et inévitablement causé beaucoup d’insomnie aux têtes couronnées déstabilisées par sa présence, il n’en demeure pas moins que c’est un ancien maître d’étude à Brienne, le père Henriot, un curé de paroisse, qui lui servit de guide à un certain moment. Comme pour donner raison à François Mitterrand qui affirmait que nous n’avons jamais que le pays de notre enfance.
La lecture de l’histoire-bataille peut souvent s’avérer fastidieuse (j’ai laissé en plan plusieurs de ces récits), puisqu’il s’agit principalement de mouvements, d’unités et d’une trajectoire qui peut s’avérer hermétique. Et la plume trop mécanique de certains auteurs permet difficilement de s’y plonger facilement. Il n’en est rien ici, puisque l’auteur nous invite à observer la psychologie d’un chef de guerre luttant d’abord contre une « défaite inéluctable », avant de jeter la serviette à Fontainebleau lorsque tous les espoirs se sont évanouis. Entre les couvertures, on ressent le froid, la fatigue et le stress accablant celui à qui la fortune avait cessé de sourire. On peut également mesurer l’ampleur de sa détermination, on pourrait même dire son acharnement, devant le sort des armes qui lui était nettement défavorable sur papier. Parce que la guerre, Napoléon le savait mieux que quiconque, se gagne sur le terrain.
Sur une note personnelle, j’avoue ne jamais avoir été un grand admirateur de Napoléon dans le passé – bien au contraire. Cette disposition a évolué au fil du temps, notamment grâce à l’historien britannique Andrew Roberts, avec pour résultat que je suis maintenant toujours impatient de mettre la main sur les bonnes feuilles qui sont écrites et publiées à son sujet. Et la capacité narrative exceptionnelle de Michel Bernard a fait en sorte que je me suis surpris à souhaiter, tout plongé que j’étais dans ces mois fatidiques du début de l’année 1814, à pratiquement souhaiter une victoire de l’Empereur des Français.
Dans les faits, est-ce que cela aurait été possible? La question me taraude…
Pour l’heure, je conclurai en disant que ce fut un moment de lecture tout à fait exceptionnel, bien que trop bref à mon goût. Je recommande chaudement cette incursion dans la geste napoléonienne à tous les férus d’histoire souhaitant apprécier les rebondissements d’une campagne militaire annonciatrice de l’exil et du retour qui se soldera par la défaite ultime de Waterloo.
Ça y est, on peut dire que je suis maintenant envoûté par Napoléon. J’aimerais bien que Michel Bernard reprenne la plume à son sujet.
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Michel Bernard, Hiver 1814: Campagne de France, Paris, Perrin, 2019, 240 pages.
Je tiens à exprimer ma profonde reconnaissance envers Interforum Canada de m’avoir gracieusement offert un exemplaire du livre et aux gens des éditions Perrin à Paris pour leur précieuse et généreuse collaboration.