Le génie en guerre

ClaudeQuetelOperationsWW2« La guerre n’est jamais avare de nouvelles inventions », d’écrire l’historien Claude Quétel dans son dernier livre Les opérations les plus extraordinaires de la Seconde Guerre mondiale. J’oserais pousser la note en ajoutant « et d’audace » à cette formule, tellement les stratèges et leurs exécutants y sont allés de prouesses souvent inimaginables durant ces hostilités.

Ces 400 pages m’ont donné l’impression que l’auteur a pris la plume spécialement pour moi. D’abord parce que je suis un fan fini de Ian Fleming et de James Bond, j’ai toujours été fasciné par tout ce qui entoure les opérations spéciales et j’ai eu le privilège de visiter certains lieux décrits entre les couvertures du livre.

Je conserverai toujours un souvenir impérissable de cette journée d’été passée à Zagan, localité polonaise située à environ 200 km de Berlin et 400 km de Varsovie, lien emblématique où était localisé le célèbre camp allemand de prisonniers de guerre Stalag Luft III – immortalisé dans le long métrage La grand évasion (The Great Escape) (1963), mettant en vedette Steve McQueen, Richard Attenborough, Charles Bronson et James Donald pour ne citer que ces noms-là.

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Photo prise au-dessus du nom du Squadron Leader Roger Bushell, lors de ma visite à Zagan à l’été 2015.

Effectuer de nos jours le court parcours du tunnel Harry offre au visiteur la possibilité de mieux comprendre la détermination, l’esprit de sacrifice et la maestria de ces braves hommes qui n’avaient rien perdu de leur volonté de croiser le fer avec la horde nazie. Leur quête d’évasion était d’ailleurs une manière très imaginative de poursuivre ce combat. Et que dire de l’émotion ressentie à la vue du nom de Roger Bushell (le fameux Roger interprété par Richard Attenborough dans le film) inscrit sur l’une des stèles de granit alignées, immortalisant le point de départ, le parcours très étroit, l’effondrement du tunnel et le point de sortie creusé et emprunté par les valeureux fugitifs.

Et que dire que la visite privée qui nous avait été généreusement offerte il y a de cela quelques années par un officier britannique à la retraite plus tôt à travers les tunnels creusés pendant le conflit mondial dans le roc de Gibraltar et sillonnés par nul autre qu’Eisenhower. J’imaginais les tractations et décisions à prendre par le grand homme en sillonnant ces passages interdits au grand public. Si seulement le rocher pouvait parler…

Vous l’aurez compris, j’ai une appétence passionnée pour le sujet. Et les 32 chapitres du livre ont dépassé mes attentes, notamment grâce au style de l’auteur. Les formules du genre « Le pacifisme et son cousin le défaitisme sévissent dans la troupe » ou « Dans le domaine de l’imagination, des trouvailles en tous genres et des idées baroques, la Grande-Bretagne en guerre mérite incontestablement la palme. Ces insulaires ont une psychologie d’éternels assiégés » émaillent le propos et agrémentent la lecture.

On croise aussi fréquemment un « grand amateur d’opérations spéciales » nommé Winston Churchill et d’une Écosse véritable pépinière des forces spéciales britanniques – un héritage notamment commémoré par l’impressionnant Mémorial des commandos situé à Spean Bridge en plein cœur des Highlands (une heure environ au sud-ouest du Loch Ness) et surplombant la région où les combattants appelés à accomplir des faits d’armes légendaires s’entraînaient inlassablement. Ce qui n’a rien pour me déplaire, bien au contraire.

Bref, si vous nourrissez un intérêt pour les batailles de l’ombre durant la Seconde Guerre mondiale, il serait tristement regrettable que vous passiez à côté de ces excellentes pages. J’aurais pratiquement même envie de les qualifier de délicieuses, tellement je suis gourmand du genre.

Avec tout ce qu’elle comporte de barbarie, de souffrances et souvent de stupidité, la guerre est champ de l’activité humaine qui fait aussi souvent appel à ce que l’être humain a de plus précieux pour son avancement, son génie.

En trois mots, le dernier livre de Claude Quétel est un pur délice.

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Claude Quétel, Les opérations les plus extraordinaires de la Seconde Guerre mondiale, Paris, Perrin, 2019, 400 pages.

Je tiens à exprimer ma profonde reconnaissance envers Interforum Canada de m’avoir gracieusement offert un exemplaire du livre.

Une nouvelle biographie de Rommel signée Benoît Rondeau

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Le Generalfeldmarschall Erwin Rommel

J’apprenais durant le week-end que le prolifique historien Benoît Rondeau a soumis le manuscrit d’une nouvelle biographie du Generalfeldmarschall Erwin Rommel aux Éditions Perrin.

L’auteur y mettra notamment l’emphase sur le talent de stratège du célèbre chef de guerre, consacrant ainsi une part significative de son livre à la Normandie, où Rommel fut successivement nommé inspecteur des fortifications du mur de l’Atlantique en novembre 1943 et chef du Groupe d’armées B de la Wehrmacht en charge des défenses côtières de la Manche deux mois plus tard.

Rappelons que M. Rondeau est l’auteur des livres Afrikakorps : l’armée de Rommel (Tallandier, 2013), Invasion : le Débarquement vécu par les Allemands (Tallandier, 2014) et, plus récemment, de la biographie Patton : la chevauchée héroïque (Tallandier, 2016).

L’auteur me confirme également que le livre abordera longuement le quotidien de Rommel et contiendra plusieurs photos inédites.

Visiblement conscient du caractère controversé que représente son sujet (en dépit de la considération que plusieurs lui portent, Rommel a tout de même porté la croix gammée sur son uniforme et commandé l’unité militaire de protection rapprochée de Hitler en 1939), Benoît Rondeau insiste sur le fait que « […] l’on est pas politiquement neutre quand on ne s’oppose pas à quelque chose. On l’accepte tacitement. » On peut donc s’attendre à ce que l’illustre maréchal soit traité sans complaisance au niveau de sa collaboration avec la horde nazie.

Si tout se déroule comme prévu, le livre devrait être en librairie au mois de mai en France. Les lecteurs canadiens pourront donc mettre la main sur un exemplaire avant de partir en vacances, c’est-à-dire vers la fin du mois de juin.

En attendant (avec impatience) la sortie du prochain Rommel en librairie, lecteurs et amateurs d’histoire militaire peuvent consulter le blogue de l’historien, sur lequel celui-ci intervient régulièrement à propos de son sujet de prédilection.

Le diable sur la montagne

ThierryLentz

J’ai eu l’inoubliable privilège de passer une partie de l’été 2014 dans la région de Salzbourg. Il était donc inconcevable que le féru d’histoire que je suis ne veuille consacrer une journée à visiter le tristement célèbre « nid d’aigle » d’Hitler, situé sur le mont Kehlstein à proximité de Berchtesgaden dans les Alpes bavaroises.

Je piaffais donc d’impatience de mettre la main sur le plus récent ouvrage de l’historien Thierry Lentz Le diable sur la montagne : Hitler au Berghof 1922-1944 (Perrin, 2017), consacré à l’occupation des lieux par le maître nazi et son entourage pendant plus de deux décennies.

Suite à cette lecture palpitante, force m’est d’admettre que je connaissais bien mal l’importance de cet endroit dans la naissance, le développement et le crépuscule du régime mortifère qui écrivit le chapitre le plus sombre de l’histoire de l’Allemagne et probablement de l’humanité. J’étais sous l’impression que le complexe montagnard du Berghof n’était qu’un centre de villégiature pour le Führer et ses caciques. Or, le directeur de la Fondation Napoléon nous rappelle que « tenter [d’établir la liste des décisions qui ont été prises à cet endroit] serait refaire une bonne partie de l’histoire du IIIe Reich. » (p. 158). C’est dire à quel point l’endroit fut un avant-poste du dernier conflit mondial.

Outre la description des travaux, événements, personnages, rituels et rivalités qui s’y sont succédés dans le décor bucolique des Alpes, le plus grand mérite de l’auteur réside dans sa capacité à nous transporter sur les lieux (il me faut ajouter que la plume de Thierry Lentz est franchement incomparable). En fermant les yeux, j’avais non seulement l’impression d’observer le fonctionnement de la « petite capitale » en temps réel, mais également de revivre ce jour de juillet où j’ai marché sur les traces du diable. La référence aux skinheads observés sur les lieux me fut également familière, puisque j’y ai vécu la même expérience.

J’espère pouvoir retourner un jour à Berchtesdagen et y passer beaucoup plus de temps, chaussé de mes bottes de marche et le livre de Thierry Lentz en main. Pourquoi céder de nouveau à cette « curiosité malsaine » (les mots sont de l’auteur)? Tout d’abord pour y explorer les vestiges que l’horaire prévu par notre guide ne m’a guère permis de découvrir (donc sortir des sentiers touristiques bien orchestrés), mais aussi pour prendre la pleine mesure de la manière par laquelle le mal peut instrumentaliser ce qu’il y a de plus beau et de plus inspirant pour meurtrir l’humanité.

S’il est une chose que je regrette à propos de ce livre, c’est de ne pas avoir pu le dévorer avant de me rendre sur le mont Kehlstein. Petit conseil aux amateurs d’histoire donc. Si vous planifiez une visite dans cette vallée et prendre l’ascenseur qui vous conduira au « nid d’aigle », profitez de l’expérience et des observations de l’un des plus grands historiens et des meilleures plumes de notre temps.

Pour l’heure, Le diable sur la montagne trouve maintenant place parmi les meilleurs qu’il m’ait été donné de lire au sujet de la Seconde Guerre mondiale.