Zelensky, chef de guerre malgré lui

Avant le 24 février 2022, rares étaient celles et ceux – hormis les férus d’actualité ou les familiers de son pays – à connaître ou savoir prononcer le nom du président ukrainien Volodymyr Zelensky. Depuis ce jour fatidique, son nom a tellement été lu et entendu qu’il est devenu incontournable dans l’actualité.

Mais qui est donc cet homme qui préside aujourd’hui même le 31e anniversaire de l’indépendance de l’Ukraine et qui tient obstinément tête à Vladimir Poutine, qui sermonne les capitales occidentales quant à la tiédeur de certaines réactions et qui aura inspiré une foule de gens par un courage peu commun face à l’adversité? Napoléon aurait exprimé que « nul n’est grand devant son valet de chambre ». Le même constat s’applique vraisemblablement pour quiconque revêt les habits de biographe d’un illustre personnage.

J’étais donc impatient de parcourir Zelensky : Dans la tête d’un héros (Robert Laffont) sous la plume de Régis Genté et Stéphane Siohan – le premier étant un spécialiste de l’ancien espace soviétique et le second observant le président ukrainien depuis ses débuts dans la vie publique. Et je dois avouer que je n’ai pas été déçu. Ils brossent le portrait d’un comédien jadis russophile doublé d’une bête de communication. À la lecture de l’ouvrage, on comprend rapidement que pratiquement rien ne promettait Zelensky à un destin aux commandes de l’Ukraine à partir de 2019. Il n’avait rien d’un animal politique.

Ce qui m’a le plus frappé dans ce livre est le fait que le président ukrainien – qui n’est pas un intellectuel – est bien peu porté sur le contenu. Mal encadré ou dans l’improvisation, il peut rapidement déraper et l’un de ses défis consiste « à maîtriser ses montées d’agressivité ». Dans la même veine, il est également étonnant d’apprendre que celui qui incarne l’antithèse de l’establishment et des ors de la République dans la série télévisée Serviteur du peuple (Netflix) fut jadis la marionnette des oligarques. Selon les auteurs, ladite série à succès était « […| une grenade dégoupillée par un oligarque [Ihor Kolomoïsky] pour en déboulonner un autre [le président Petro Porochenko]. » Ça a fonctionné et l’ancien acteur que l’on prenait simplement pour un clown se retrouve depuis 6 mois – jour pour jour après le début des hostilités – à esquiver les vraies grenades.

Ce qui m’amène à un autre aspect qui a particulièrement retenu mon attention. Le 24 février dernier, plusieurs s’attendaient à ce que Zelensky soit exfiltré de Kiev pour poursuivre son mandat en exil. Et on aurait facilement pu lui pardonner, devant la catastrophe annoncée d’un déferlement d’une armée russe que l’on croyait à toutes fins pratiques invincibles. Il n’en fut rien. Le t-shirt kaki et les molletons militaires ont remplacé le veston et la cravate. Et les médias sociaux se firent les relais fidèles des messages spontanés du président assiégé. Des excellents coups de communication, mais qui masquaient néanmoins le fait que l’ancien acteur n’avait rien d’un chef de guerre lorsqu’il a été bousculé dans cette réalité. Peut-être cela a-t-il un lien avec son refus de prêter foi aux renseignements américains qui l’avertissaient du danger, mais ça c’est une autre histoire.

Toujours est-il que les deux auteurs relatent que « Zelensky a dû faire son apprentissage de cette crise et de la gestion des conflits, lui qui, très clairement, éprouve une aversion viscérale pour les choses de la guerre et la violence. » Le chef d’État a esquivé son service militaire et les milieux militaires ne faisaient aucun mystère de leurs affinités avec son prédécesseur et rival Petro Porochenko.

Lorsqu’il prend ses quartiers sur la rue Bankova (siège de la présidence du pays), nous ne sommes pas en présence d’un De Gaulle ou un Churchill – dans la mesure où ces deux figures légendaires étaient bien rompues aux affaires militaires. Lorsque les canons se mettent à tonner, il demeure droit dans ses bottes et manifeste un esprit combatif qui détonne avec ce que nous anticipions, notamment en raison du fait qu’« aux yeux du public occidental, pas habitué à voir un chef d’État démocratiquement élu obligé de prendre des décisions qui engagent la vie et la mort de ses concitoyens. » L’héroïsme dont on le crédite relèverait donc autant de son courage que de notre étonnement, nous qui avons perdu l’habitude des conflits directs.

Bien malin celui qui pourrait prédire la suite des choses pour Volodymyr Zelensky. Tout dépendra de ce nouveau rôle qu’il a été appelé à incarner par le destin qui lui a imposé une invitation remise par les soldats de Vladimir Poutine. Une chose cependant est certaine. Ses détracteurs auraient tort de sous-estimer le personnage. Entre les lignes de la biographie écrite par Régis Genté et Stéphane Siohan, la lectrice et le lecteur partent à la rencontre d’un individu dont deux des principales caractéristiques sont une détermination de fer et une capacité d’adaptation impressionnante. Sur les planches, en affaires, dans l’arène politique et en mangeant « du bortsch avec les soldats » dans les tranchées sur le front, Volodymyr Zelensky est toujours parvenu à faire déchanter ceux qui le sous-estimaient. Après tout, « Le candidat sans expérience très rapidement est devenu un politicien rusé, capable de rendre les coups à ses adversaires et à ses critiques », d’observer les auteurs.

L’avenir nous dira s’il était le meilleur candidat pour le rôle de chef de guerre à ce moment crucial de l’histoire de l’Ukraine et du monde. Il faudra encore du temps pour que sèche l’encre de l’histoire sur les pages qui s’écrivent présentement. Pour l’heure, le portrait tout en nuances brossé par les deux observateurs chevronnés permet de remarquer les couleurs de ce personnage qui porte haut et fort le drapeau jaune et le bleu devant les yeux du monde.

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Régis Genté et Stéphane Siohan, Zelensky : Dans la tête d’un héros, Paris, Robert Laffont, 2022, 198 pages.

Je tiens à remercier Marie-Ève Provost, directrice des communications de Interforum Canada de m’avoir fait parvenir un exemplaire de cette biographie et pour sa précieuse collaboration avec ce blogue.

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  1. Pingback: “Le vrai héros, c’est le peuple ukrainien” – BookMarc

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