La grammaire de Vladimir Poutine

Le jour où le président russe Vladimir Poutine lança ses troupes à l’assaut de l’Ukraine, le 24 février 2022, un oligarque questionna le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov sur la manière dont fut planifiée cette intervention armée. « Il [le président] a trois conseillers. Ivan le Terrible, Pierre le Grand et Catherine la Grande », répondit le ministre. L’anecdote est révélatrice, puisque les trois personnages ont laissé leur empreinte en gouvernant par la puissance dure, ne rechignant pas à faire sonner la charge lorsque nécessaire.

Pour bien saisir la pensée et les actions posées par celui qui préside aux destinées de la Russie, il faut d’abord maîtriser sa grammaire. L’un des exposés les plus éclairants à ce sujet nous est offert par Pierre Servent dans Le monde de demain : Comprendre les conséquences planétaires de l’onde de choc ukrainienne (Robert Laffont). Fort de son expérience militaire et académique, mais aussi politique – le dernier élément se lit entre les lignes – l’auteur nous donne des clés essentielles pour comprendre Vladimir Poutine.

Parce que le personnage est tout sauf un accident de l’histoire. Ses actions reposent « […] sur une idéologie, sur une lecture du passé et des rapports de force dans le monde. L’homme du Kremlin est convaincu depuis longtemps que les temps nouveaux seront forgés par des hommes dotés de la capacité de recomposition des espaces de puissance. » Ces leaders ont le beau jeu présentement, puisqu’« […] il y a dans le monde un besoin frénétique de réassurance autocratique. » Cette vision du monde, est-il besoin de le souligner, est antinomique avec les valeurs démocratiques.

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Gorbatchev, l’anti-Poutine

Une mise en garde, avant toute chose. J’ai toujours été fasciné par Mikhaïl Gorbatchev, le dernier dirigeant de l’URSS. Mon sentiment envers lui a toujours été celui de l’admiration, et ce, dès son arrivée sur la scène internationale en 1985. Du haut de mes 11 ans, je m’affairais à lire tout ce qui le concernait. En 2011, j’ai eu l’insigne honneur de le rencontrer lors de son passage à la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. De ses yeux jaillissait une flamme alimentée par la rencontre de l’autre.

Mikhaïl Gorbatchev était un homme profondément humain. C’est d’ailleurs l’un des principaux traits qui ressortent des Dernières conversations avec Gorbatchev (Robert Laffont), un livre découlant des entretiens réalisés sur une période de vingt-cinq ans par Darius Rochebin, journaliste chez LCI, avec le dernier dirigeant soviétique.

À 6 ans, les hommes de Staline viennent arrêter son grand-père maternel, Panteleï, devant ses yeux. Un souvenir qui restera gravé au cœur du garçon. Nous n’avons jamais que le pays de notre enfance, disait François Mitterrand si ma mémoire est fidèle. Même s’il devient « fin calculateur et rompu aux intrigues » du Parti communiste, le caractère de Gorbatchev a été coulé dans un moule bien différent. Il est « imperméable au frisson autoritaire ». À tel point que lorsqu’il arrive au pouvoir après le décès de Konstantin Tchernenko, il « […] rompt la série [des dirigeants qui ne rechignent pas à utiliser l’approche musclée pour asseoir leur pouvoir]. Pour la première fois, l’URSS a un chef profondément civil. Par expérience et par inclination naturelle, il répugne à l’usage de la force. » D’un couvert à l’autre, on fait la connaissance d’un homme qui ne veut pas faire couler le sang et qui ne sait pas garder rancune. Assez étrange chez un politicien, mais passons.

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Le jour où Gorbatchev a perdu

C’était il y a 31 ans. J’étais sur le point de débuter mes études collégiales, antichambre de l’université au Québec. Déjà féru d’actualité politique internationale, tout ce qui concernait Mikhaïl Gorbatchev me captivait. J’aurais le privilège de le rencontrer plus tard, mais c’est une autre histoire. Toujours est-il qu’en ce beau jour du mois d’août 1991, je fus bouleversé d’apprendre qu’on venait d’initier un putsch contre ce leader que j’admirais.

Toutes les heures, je téléphonais à la salle de réaction de mon journal local pour m’enquérir des nouvelles à ce sujet… Nous n’avions ni CNN, ni l’Internet à cette époque. Le généreux directeur de la salle de réaction, Pierre-Yvon Bégin, me répondait toujours avec affabilité et générosité. Il m’avait même offert des photos de Gorbatchev. En souvenir, au cas où…

Ce 19 août 1991 est toujours resté gravé dans ma mémoire, parce qu’il constituait selon moi un point de rupture. Avec le temps, je mesure à quel point ce moment fatidique scella le destin non seulement de Gorbatchev, mais également de Boris Eltsine et aussi, dans une certaine mesure, du jeune Vladimir Poutine qui allait apprendre de cette période fatidique comment ne pas faire de politique dans son pays.

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Les Occidentaux ont poussé la Russie dans les bras de la Chine – Entrevue exclusive avec Vladimir Fédorovski, ancien conseiller de Mikhaïl Gorbatchev

Vladimir Fédorovski (source: Le Temps)

Je suis un grand amateur des livres de Vladimir Fédorovski. Par sa plume agréable et inspirée, cet auteur prolifique et ancien conseiller de Mikhaïl Gorbatchev fait pénétrer ses lectrices et ses lecteurs dans l’âme de l’histoire politique de la Russie. C’est d’ailleurs avec énormément de plaisir que j’ai lu et recensé l’éclairante biographie qu’il a récemment consacrée au dernier président de l’URSS – Le Roman vrai de Gorbatchev, publié chez Flammarion il y a quelques mois. Je m’attaquerai bientôt à sa biographie de Staline. Pour l’heure, voici le contenu de l’entretien téléphonique qu’il m’a accordé le 28 septembre dernier.

Monsieur Fédorovski, bonjour et merci infiniment de m’accorder un entretien. Je vous remercie pour votre œuvre et c’est toujours un très agréable plaisir de vous lire. Sans plus tarder, quelle est votre lecture des relations actuelles entre l’Occident et la Russie?

Il y a une affinité extraordinaire entre l’Occident et la Russie. Je n’accepte pas cette bêtise qu’est la diabolisation. Nous vivons dans un climat pire que celui de la Guerre froide. Sous la dictature du politiquement correct, les médias mentent et croient en leurs mensonges. Parce que nous avons besoin d’un adversaire. C’est inculte. Comme l’affirmait l’ancien ministre français des affaires étrangères, Hubert Védrine, c’est une fatigue intellectuelle. Par rapport à Vladimir Poutine, mon approche est gaullienne. Les chefs d’État comme Vladimir Poutine et Justin Trudeau passeront. Les intérêts nationaux et la paix, de leur côté, demeureront.

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Comprendre le pouvoir russe

MarcWithGorby
L’auteur photographié en compagnie de l’ancien président Mikhaïl Gorbatchev en 2011.

À quelques jours de mes 17 ans, en août 1991, j’apprenais que le dirigeant soviétique Mikhail Gorbatchev était victime d’un coup d’État. Fasciné que j’étais par tout ce qui concernait ce pays et son histoire, il n’en fallait guère plus pour m’inquiéter au sujet de ce leader admiré, mais aussi de me fasciner de ce que cet événement signifiait dans la grande trame de l’histoire du pays des tsars. À l’époque, nous ne disposions pas de toutes les plateformes médiatiques permettant de suivre l’évolution du putsch en temps réel – mis à part les bulletins de nouvelles à la radio. Je m’étais donc employé à téléphoner, plusieurs fois par jour, à la salle de rédaction du quotidien local pour m’enquérir des développements à Moscou et en Crimée, là où Gorbatchev était retenu contre son gré. Fort probablement au grand désespoir du directeur de l’information qui me répondait toujours généreusement.

Le Kremlin et ses locataires m’ont toujours fasciné. Je raffole depuis mon jeune âge de lectures détaillant les intrigues ourdies au sommet du pouvoir rouge et permettant de mieux connaître les grandes figures qui en étaient la cause.

SecretsduKremlinC’est avec un peu de retard, mais ô combien de plaisir que j’ai dévoré Les secrets du Kremlin 1917-2017 sous la plume avertie de l’historien et journaliste Bernard Lecomte. Les 16 chapitres de ce livre agrémenté par l’une des plumes les plus agréables qu’il m’ait été donné d’apprécier permettent de franchir les murs de cette enceinte dont l’aura de mystère fait non seulement sa réputation historique, mais lui confère également son influence.

L’idée principale que j’en retiens est que, pour arriver au pouvoir en Russie et y demeurer, il faut savoir jouer de ruse et ne jamais baisser la garde. Bernard Lecomte nous permet à cet égard de marcher sur les pas d’un Lénine prenant le pouvoir à force d’obstination et malgré une révolution mal préparée. Et d’un Nikita Khrouchtchev qui prend les commandes de l’État en 1953, mais « […] en qui personne ne voit encore un leader de premier plan. » Pour revenir au putsch de 1991, ce moment charnière aura permis à un Boris Eltsine sous-estimé par les comploteurs de devenir une figure incontournable en se hissant sur un char d’assaut. Et que dire de ce Vladimir Poutine relativement inconnu qui devient maître des lieux en exhibant la jeunesse et la vigueur devant un Eltsine malade et au bout de ses forces, alors les 12 coups de minuit sonnent l’arrivée de l’an 2000 sur la Place Rouge? Dans ce registre, force est d’admettre que le meilleur chapitre est celui (tout simplement savoureux) où l’historien relate la partie d’échecs entre Staline et De Gaulle.

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