Une géopolitique de l’optimisme

« « N’ayez pas peur », disait le pape, saint Jean-Paul II, reprenant les paroles du Christ. Ces paroles prononcées à l’occasion de grands changements nous éclairent. Elles sont d’actualité alors que des bouleversements sont en cours. » Ces mots couchés dans l’épilogue du plus récent livre du général Henri Trinquand résonnent d’une manière particulière, en ce lundi de Pâques où nous pleurons le décès du pape François, survenu plus tôt aujourd’hui. Aussi pertinente soit-elle dans l’actualité, cette citation est toutefois introduite dans le contexte d’une meilleure compréhension des eaux internationales dans lesquelles nous sommes appelés à ramer.

Aussi bien le déclarer d’entrée de jeu, l’auteur du livre D’un monde à l’autre : Comprendre les nouveaux enjeux géopolitiques (Robert Laffont) ne sombre aucunement dans ce pessimisme qui peut facilement mettre le moral en berne. C’est pour le moins rafraîchissant. Et les constats reposent sur une solide expérience de la geste militaire. Membre d’une famille dont plusieurs membres ont porté le fer contre les ennemis de la France sur différents théâtres et à différentes époques, le général Dominique Trinquand est diplômé de Saint-Cyr et a servi sous les drapeaux en tant que tankiste. Il a été servi première ligne de cette discipline qu’il décortique maintenant.

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Quand Vladimir Poutine règle ses comptes

« Demain ce crétin [de Prigojine] nous sera préjudiciable, et représentera une menace. Sous peu, son attitude va remonter toutes les badernes de généraux de l’armée contre nous. Ici, Prigo se comporte en courtisan, mais dès que je lui tourne le dos, j’entends des choses désagréables… Il se prend pour quelqu’un qu’il n’est pas. Le cuisinier a pris la grosse tête. Je te chargerai de définitivement la dégonfler. »

C’est ainsi que le président russe Vladimir Poutine s’adresse à Medusa, la mystérieuse et impitoyable spadassine qui se fraie un chemin jusqu’à lui à travers les couloirs secrets du Kremlin. Il l’a chargée de prendre la tête de l’incarnation contemporaine de SMERSH – la terrifiante et sanguinaire unité de contre-espionnage militaire soviétique qui sévissait durant la Seconde Guerre mondiale et dont le nom signifie « mort aux traîtres »– dans les pages de l’époustouflant dernier roman de Viktor K. (Vincent Crouzet) Service Action – Louve Alpha (Robert Laffont).

À la lumière des événements des dernières heures qui ont vu l’ancien patron de Wagner et putschiste malheureux du 24 juin dernier rendre l’âme après que deux missiles ont eu provoqué l’écrasement de l’avion à bord duquel il prenait place, le récit de ce roman prend tout son sens. Il permet de constater que le président russe aime régler l’ardoise avec ceux et celles qui entravent sa route.

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Vladimir Poutine dans les pas de Nicholas II?

Le géopoliticien Pierre Servent (Le Figaro)

Dans la foulée de ma recension de son interpellant livre Le monde de demain, le spécialiste de la géopolitique, historien et auteur Pierre Servent a accepté de m’accorder une entrevue en début de semaine. Le lendemain de l’entrevue, on dévoilait qu’il était lauréat du Prix du livre de géopolitique 2023 – prix spécial du jury – pour cet ouvrage saisissant d’actualité.

Nous l’en félicitons chaleureusement et le remercions vivement pour la générosité de son temps.

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M. Servent, nous avons trop souvent l’impression en Occident que Vladimir Poutine est une anomalie de l’histoire. Dans votre livre, vous donnez des clés instructives pour comprendre que ce n’est pas le cas. Est-ce qu’il a le sens de l’histoire?

Il n’est pas connu pour être un féru d’histoire dans le sens où il n’a pas fait d’études en ce sens. On peut être féru d’histoire sans avoir fait des études universitaires ou autre, mais on ne note pas dans sa carrière de témoignages de ses compagnons, de ses proches, de toute l’équipe qu’on peut appeler aussi le gang de Saint-Pétersbourg à l’époque à l’effet que Vladimir se plonge dans un livre d’histoire. Il n’est pas connu pour être un passionné d’histoire.

Dans la période plus contemporaine, on trouve des indications intéressantes dans le livre notamment de Michel Eltchaninoff qui a été publié il y a quelques années qui s’intitule Dans la tête de Vladimir Poutine. Là, il semble qu’un certain nombre de personnages ayant eu des connaissances historiques approfondies mais dans un sens très particulier par rapport à l’histoire de la Russie et notamment sur son versant asiatique. La Russie est une puissance euro-asiatique et il y a toujours eu dans l’histoire du pays des tensions entre les pro-occidentaux et ceux qui, au contraire, considéraient que la Russie était une puissance asiatique.

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La grammaire de Vladimir Poutine

Le jour où le président russe Vladimir Poutine lança ses troupes à l’assaut de l’Ukraine, le 24 février 2022, un oligarque questionna le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov sur la manière dont fut planifiée cette intervention armée. « Il [le président] a trois conseillers. Ivan le Terrible, Pierre le Grand et Catherine la Grande », répondit le ministre. L’anecdote est révélatrice, puisque les trois personnages ont laissé leur empreinte en gouvernant par la puissance dure, ne rechignant pas à faire sonner la charge lorsque nécessaire.

Pour bien saisir la pensée et les actions posées par celui qui préside aux destinées de la Russie, il faut d’abord maîtriser sa grammaire. L’un des exposés les plus éclairants à ce sujet nous est offert par Pierre Servent dans Le monde de demain : Comprendre les conséquences planétaires de l’onde de choc ukrainienne (Robert Laffont). Fort de son expérience militaire et académique, mais aussi politique – le dernier élément se lit entre les lignes – l’auteur nous donne des clés essentielles pour comprendre Vladimir Poutine.

Parce que le personnage est tout sauf un accident de l’histoire. Ses actions reposent « […] sur une idéologie, sur une lecture du passé et des rapports de force dans le monde. L’homme du Kremlin est convaincu depuis longtemps que les temps nouveaux seront forgés par des hommes dotés de la capacité de recomposition des espaces de puissance. » Ces leaders ont le beau jeu présentement, puisqu’« […] il y a dans le monde un besoin frénétique de réassurance autocratique. » Cette vision du monde, est-il besoin de le souligner, est antinomique avec les valeurs démocratiques.

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Gorbatchev, l’anti-Poutine

Une mise en garde, avant toute chose. J’ai toujours été fasciné par Mikhaïl Gorbatchev, le dernier dirigeant de l’URSS. Mon sentiment envers lui a toujours été celui de l’admiration, et ce, dès son arrivée sur la scène internationale en 1985. Du haut de mes 11 ans, je m’affairais à lire tout ce qui le concernait. En 2011, j’ai eu l’insigne honneur de le rencontrer lors de son passage à la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. De ses yeux jaillissait une flamme alimentée par la rencontre de l’autre.

Mikhaïl Gorbatchev était un homme profondément humain. C’est d’ailleurs l’un des principaux traits qui ressortent des Dernières conversations avec Gorbatchev (Robert Laffont), un livre découlant des entretiens réalisés sur une période de vingt-cinq ans par Darius Rochebin, journaliste chez LCI, avec le dernier dirigeant soviétique.

À 6 ans, les hommes de Staline viennent arrêter son grand-père maternel, Panteleï, devant ses yeux. Un souvenir qui restera gravé au cœur du garçon. Nous n’avons jamais que le pays de notre enfance, disait François Mitterrand si ma mémoire est fidèle. Même s’il devient « fin calculateur et rompu aux intrigues » du Parti communiste, le caractère de Gorbatchev a été coulé dans un moule bien différent. Il est « imperméable au frisson autoritaire ». À tel point que lorsqu’il arrive au pouvoir après le décès de Konstantin Tchernenko, il « […] rompt la série [des dirigeants qui ne rechignent pas à utiliser l’approche musclée pour asseoir leur pouvoir]. Pour la première fois, l’URSS a un chef profondément civil. Par expérience et par inclination naturelle, il répugne à l’usage de la force. » D’un couvert à l’autre, on fait la connaissance d’un homme qui ne veut pas faire couler le sang et qui ne sait pas garder rancune. Assez étrange chez un politicien, mais passons.

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“S’attaquer au groupe Wagner, c’est s’attaquer à Poutine”

Vincent Crouzet (Robert Laffont Canada)

Dans la foulée de ma recension de son excellent roman Service Action – Sauvez Zelensky!, l’auteur Vincent Crouzet a généreusement accepté de répondre à mes questions.

Je suis très heureux de partager cet entretien ici.

M. Crouzet, d’où est venue votre inspiration pour écrire au sujet de l’espionnage et des Forces spéciales?

C’est une idée que j’ai depuis longtemps : raconter le travail au quotidien du Service Action de la DGSE, et inscrire les intrigues dans la conjoncture internationale. Aussi jouer sur l’aspect très contemporain de mes histoires, pour leur apporter tout le réalisme nécessaire. Je développe cette série sous le pseudo de Victor K., mais sous mon vrai nom, Vincent Crouzet, j’ai déjà à mon actif sept romans d’espionnage…

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Sauvez Zelensky!

« Volodymyr n’a pas peur de mourir. Je le sais. Il est habité par autre chose. Il est déjà ailleurs », déclare le président de la République française au colonel Coralie Desnoyers, chef du Service Action – bras armé de la Direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE) dans les premières heures de la guerre lancée contre l’Ukraine par Moscou.

Dès les premières heures de l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes à l’aube du 24 février 2022, le président ukrainien Volodymyr Zelensky s’élève immédiatement au-dessus de la mêlée des chefs ordinaires. Sa réaction, ses interventions, son courage attachant, le distinguent des dirigeants que l’on sait habituellement allergiques aux risques. La politique n’est-elle pas l’art de survivre? Ce logiciel est étranger au héros ukrainien.

Il refuse obstinément de quitter Kyiv, demandant des munitions au lieu d’un taxi. Dans un scénario fiction, le président français s’engage à assurer sa sécurité, notamment face à un commando du groupe Wagner (ainsi nommé « en raison de la fascination de son chef et créateur, Dmitri Outkine, néonazi russe, pour Adolf Hitler. Ce même Outkine décoré par Vladimir Poutine dans l’ordre du Courage au Kremlin ») ayant pour mission de lui offrir un billet pour l’éternité. Cette tâche échoit aux hommes et aux femmes du Service Action – des personnages qui n’ont rien à envier à James Bond.

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Zelensky, chef de guerre malgré lui

Avant le 24 février 2022, rares étaient celles et ceux – hormis les férus d’actualité ou les familiers de son pays – à connaître ou savoir prononcer le nom du président ukrainien Volodymyr Zelensky. Depuis ce jour fatidique, son nom a tellement été lu et entendu qu’il est devenu incontournable dans l’actualité.

Mais qui est donc cet homme qui préside aujourd’hui même le 31e anniversaire de l’indépendance de l’Ukraine et qui tient obstinément tête à Vladimir Poutine, qui sermonne les capitales occidentales quant à la tiédeur de certaines réactions et qui aura inspiré une foule de gens par un courage peu commun face à l’adversité? Napoléon aurait exprimé que « nul n’est grand devant son valet de chambre ». Le même constat s’applique vraisemblablement pour quiconque revêt les habits de biographe d’un illustre personnage.

J’étais donc impatient de parcourir Zelensky : Dans la tête d’un héros (Robert Laffont) sous la plume de Régis Genté et Stéphane Siohan – le premier étant un spécialiste de l’ancien espace soviétique et le second observant le président ukrainien depuis ses débuts dans la vie publique. Et je dois avouer que je n’ai pas été déçu. Ils brossent le portrait d’un comédien jadis russophile doublé d’une bête de communication. À la lecture de l’ouvrage, on comprend rapidement que pratiquement rien ne promettait Zelensky à un destin aux commandes de l’Ukraine à partir de 2019. Il n’avait rien d’un animal politique.

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