Dans ce classique qu’est devenu le livre Anatomie de la bataille, Sir John Keegan observe qu’:
« […] il est dommage que les historiens officiels ignorent délibérément les questions affectives en matière d’historiographie militaire, alors qu’il est évident que cet aspect de la vie du combattant, pour ne rien dire de la tentation d’identification qu’il suscite en nous, est essentiel à la peinture de la vérité historique. » (p. 21).
Même de nos jours, la littérature militaire foisonne de récits consacrés aux impératifs tactiques et stratégiques des grandes batailles et opérations qui remplissent les rayons consacrés à la discipline dans les librairies.
Fort agréablement, une tendance se fait jour depuis quelques années qui accorde la première place à la facette humaine de la res militaris – dans le sillage de l’œuvre de Keegan.
Il m’a récemment été donné de dévorer l’un des plus touchants récits de guerre qui se soit retrouvé entre mes mains.
Dans Jonquille – Afghanistan 2012, le capitaine Jean Michelin nous fait revivre son commandement dans le cadre d’une mission de six mois en Afghanistan. Sous une plume touchante et alerte, l’auteur nous permet de suivre les soldats de sa compagnie « […] dans le labyrinthe de tentes et de bunkers », au rythme d’un quotidien souvent difficile d’une mission éreintante, mais aussi d’imaginer la douleur qui accompagne la perte d’un collègue ou encore le « […] traumatisme induit par le fait de rouler sur un engin conçu pour vous tuer, de s’en sortir sans égratignure et de devoir retourner sur le même chemin trois jours plus tard. »
Sympathisant avec l’aversion ressentie à la dégustation d’un mauvais café (ce breuvage émaille le récit à plusieurs endroits, attestant probablement de la nécessité d’en consommer fréquemment pour rester aux aguets après de trop courtes nuits de sommeil), ressentant la douleur de ces combattants qui doivent encaisser une pression psychologique incomparable, partageant son dégoût à la vue de son adjoint en charge du renseignement dégustant à bord du véhicule blindé à l’intérieur duquel ils prenaient place un hamburger défraichi récupéré sur la base américaine de Bagram, on en vient pratiquement à s’imaginer enfilant les bottes et la frag des subalternes de Jean Michelin aux petites heures du matin pour partir sécuriser une voie de communication.
Pour tout dire, Jean Michelin parvient très bien à nous faire partir en mission avec lui, au ras des pâquerettes – je devrais probablement écrire au ras des paysages enchanteurs regorgeant de menaces et de temps morts.
Après avoir réussi sa mission en Afghanistan, Jean Michelin a également rempli celle qu’il s’était donné en écrivant ce livre palpitant qui est appelé à devenir un classique du genre puisqu’il est parvenu à nous faire comprendre la réalité et le vécu de ces hommes et de ces femmes auxquels nous confions probablement la mission la plus difficile qui soit, celle de mourir s’il le faut. Une réalité que nous oublions trop souvent, affairés dans le confort et la sécurité de nos occupations quotidiennes et éloignés de cette réalité militaire que nos sociétés ont choisi de reléguer à l’arrière-plan dans un monde fourmillant pourtant de menaces et de situations pour lesquelles seuls ces hommes et femmes d’exception sont outillés.
À lire, absolument.
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Jean Michelin, Jonquille – Afghanistan 2012, Paris, Éditions Gallimard, 2017, 367 pages.