« Dans ce poker armé, Vladimir Poutine sait que les puissances occidentales n’ont pas grand-chose dans leur jeu » – Michel Goya

Un militaire russe en opérations. (source: Al Jazeera)

À la lumière des tensions actuelles entre l’Ukraine et la Russie et d’un potentiel bruit de canons à l’horizon, il m’est apparu approprié de m’entretenir avec l’un des meilleurs spécialistes des affaires militaires contemporaines, le colonel (retraité) Michel Goya. Cet historien et auteur prolifique dont la renommée internationale n’est plus à faire a généreusement accepté de répondre à mes questions. Voici le contenu de notre échange.

Tout semble indiquer que l’on se trouve ici devant une opération de pression par la démonstration de forces, à la manière du blocus de Berlin en 1948.

Colonel Goya, merci infiniment d’accepter de répondre à mes questions. D’entrée de jeu, quelle est votre lecture des informations selon lesquelles la Russie envahirait l’Ukraine dans quelques jours, aussitôt que ce mercredi selon certaines sources?

C’est peu probable. Actuellement, la Russie peut envahir l’Ukraine quand elle veut et si c’est ce qu’elle veut, ce que je ne crois pas, elle le fera selon son agenda. Il faut bien comprendre qu’une telle invasion n’est pas du tout dans la pratique russe. La culture stratégique russe est toujours celle du risque très calculé. Qu’il s’agisse d’opérations froides (sans combat) ou chaudes (avec combat), les Russes agissent surtout par surprise de façon à laisser l’adversaire devant le fait accompli. Lorsqu’ils agissent de manière visible en jouant sur la masse pour réduire les risques, cela signifie qu’ils estiment qu’il n’y aura pas de réaction extérieure. On notera que le calcul n’empêche pas l’erreur d’appréciation et que surtout que l’on peut changer d’habitude, mais tout semble indiquer que l’on se trouve ici devant une opération de pression par la démonstration de forces, à la manière du blocus de Berlin en 1948. Pour parler familièrement, le saut dans l’inconnu, et une invasion de l’Ukraine serait un grand saut dans l’inconnu, n’est pas le genre de la maison Russie. J’espère ne pas me tromper.

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Napoléon, le plus célèbre confiné de l’histoire – Entrevue exclusive avec David Chanteranne

David Chanteranne (source: Monarchie Britannique).

Dans la foulée de la lecture et de ma recension de son excellent livre Les douze morts de Napoléon, j’ai demandé à M. David Chanteranne s’il accepterait de répondre à quelques questions pour ce blogue et il a généreusement accepté. Sans plus attendre, voici donc mon échange avec cet auteur tout aussi généreux que talentueux, à propos d’un personnage légendaire d’exception qui a encore beaucoup à nous apprendre.

Être séparé des siens fut probablement l’élément le plus cruel dans l’exil forcé de Napoléon à Sainte-Hélène selon moi. S’il avait pu revoir une seule personne de son entourage, qui aurait-il choisi?

Sans aucun doute, sa sœur Pauline. Elle l’avait déjà suivi lors de son premier exil, à l’île d’Elbe, et Napoléon s’entendait parfaitement avec elle. Sa présence à Sainte-Hélène eût été un bonheur pour lui. Elle lui aurait apporté la spontanéité et la douceur qui manquaient sur place.

Vous connaissez sans conteste très bien la vie de Napoléon à Sainte-Hélène. Pourriez-vous nous dresser le portrait de l’une de ses journées typiques en captivité?

Les journées à Sainte-Hélène, le plus souvent, se ressemblent. Tout débute vers 7 h. Après le lever, Napoléon s’habille (tenue légère, robe de chambre et madras sur la tête), se rase, fait sa toilette et prend une tasse de café. Il lit journaux ou livres, parfois se promène, et revient vers 10 h pour une collation. Puis débutent les dictées à ses compagnons d’exil ou les réponses au courrier. Après son bain vers 14 h, il reçoit dans l’après-midi, continue ses lectures, parfois se promène de nouveau, avant de participer à des jeux de salon et de prendre son dîner, selon l’étiquette. Le soir, discussions et agréments musicaux achèvent sa journée.

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De Gaulle, cet indocile

DeGaulleCointet2Winston Churchill a toujours occupé les premières loges de ma passion de l’histoire. Sa relation avec Charles de Gaulle m’a toujours fasciné, notamment en raison des nombreuses similitudes entre ces deux grands : impulsivité, génie, mélancolie passagère, éloquence, sens de l’histoire, caractère rebelle et j’en passe.

Mais De Gaulle ne serait pas devenu De Gaulle sans juin 1940 et, dans une certaine mesure, sans Churchill. Au moment de l’Appel du 18 juin, les deux hommes se distinguent pourtant par une feuille de route bien différente. Jean-Paul Cointet, dans son fascinant livre De Gaulle : Portrait d’un soldat en politique résume que lorsque le Général effectue ses premiers pas dans les arcanes de Whitehall, le Britannique et le Français cumulaient respectivement « […] trente-cinq ans d’expérience politique, de l’autre un tout récent sous-ministre. »

C’est dire à quel point De Gaulle a été contraint de se dépasser et de lutter pour assurer non seulement les intérêts de la France combattante, mais également les siens sur le plan personnel et ce, même si les deux peuvent facilement apparaître comme ayant été identiques, tellement le militaire français incarnait pratiquement à lui seul le mouvement dont il avait pris la tête.

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Les Red Arrows impressionnent Gatineau

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La haute-commissaire britannique Susan le Jeune d’Allegeershecque.

J’avais l’immense privilège d’être invité hier à l’arrivée des légendaires Red Arrows (l’escadrille acrobatique de la Royal Air Force) à l’aéroport de Gatineau. Ceux-ci prendront part aujourd’hui au spectacle aérien organisé par Aéro Gatineau-Ottawa.

En attendant l’atterrissage des 10 pilotes en formation, les représentants des médias ont pu assister au décollage de deux Spitfire et du majestueux et imposant C-400 servant au transport du matériel et du personnel de soutien de l’équipe.

Présente sur place, la haute-commissaire du Royaume-Uni au Canada, Susan le Jeune d’Allegeershecque, était ravie de la venue des Red Arrows en sol canadien. « Je pense qu’il s’agit là d’une belle manifestation des relations très étroites qui existent entre nos deux pays, une relation que nous ne devons jamais prendre pour acquise », d’avancer la diplomate qui se réjouissait par ailleurs du fait que les pilotes britanniques s’exécutent d’abord dans le ciel canadien avant de s’envoler pour les États-Unis pour poursuivre leur tournée nord-américaine. Il s’agit de la première présence des Red Arrows au Canada depuis 11 ans.

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En compagnie du Squadron Leader Martin Pert, un Écossais fort sympathique.

Rencontré à la toute fin de l’événement, le Squadron Leader Martin Pert (Red 1) – qui est originaire de Glasgow en Écosse – exprimait lui aussi son bonheur de séjourner chez nous. Questionné à savoir quels sont les ingrédients du succès pour lui et ses coéquipiers, il n’a pas hésité à mentionner la préparation et la patience. Le sympathique et généreux pilote expliqua également à des représentants des médias qu’une telle prestation nécessite beaucoup de travail. On parle d’environ un an de préparation. Lui et son équipe ne prennent donc rien à la légère pour en mettre plein la vue à leurs spectateurs.

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Un appareil de l’escadrille des Red Arrows.

À l’heure où la Grande-Bretagne traverse une période politique très intense avec le Brexit et l’arrivée de Boris Johnson aux commandes du pays, la tournée des Red Arrows constitue une expression vrombissante et saisissante de l’immense et efficace soft power (puissance douce)de cette nation attachante qui n’en est pas aux premières heures difficiles de son histoire. La présence dans le ciel gatinois des deux Spitfire était d’ailleurs un beau clin d’œil à la bataille d’Angleterre, en 1940, durant laquelle les pilotes britanniques ont vaincu leurs adversaires de la Luftwaffe, évitant ainsi au pays de devoir composer avec un débarquement allemand.

L’histoire se répète souvent, bien que sous des déguisements différents, et elle sert de muse à ceux et celles qui veulent en retenir les leçons. Quoi qu’il arrive dans les prochaines semaines et les prochains mois, les Britanniques entendent bien demeurer une nation forte et inspirante à l’échelle internationale.

Pour l’heure, merci infiniment aux gens de Aéro Gatineau-Ottawa pour cette magnifique activité et pour la généreuse invitation à y prendre part.

Per Ardua ad Astra.

Le budget militaire russe rétrécit

Top5DepensesMilitairesJe lisais cette semaine dans mon quotidien britannique favori que la Russie ne fait plus partie du top 5 des pays qui dépensent le plus dans le domaine de la défense.

Accusant une diminution de 3,5% du budget consacré dans cette catégorie en 2018, le pays de Vladimir Poutine a également reculé de deux places au palmarès par rapport à l’année dernière, permettant ainsi à la France d’accéder au top 5.

De là à prétendre que la Russie est en phase d’abandonner la posture résolument militarisme qui lui permet de manifester son influence sur la scène internationale, il y a un pas qu’il faudrait se garder de franchir. On peut notamment se questionner à savoir si ce positionnement est volontaire ou tributaire du contexte entourant les sanctions occidentales et les prix plus bas du pétrole.

Parmi les autres conclusions qu’il est possible de tirer des données dévoilées par le Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), on apprend également que le budget militaire de la Pologne a enregistré une croissance de 8,9%. Ce développement s’inscrit naturellement dans le contexte des tensions qui subsistent entre Varsovie et Moscou, notamment à propos de la question ukrainienne.

La Grande-Bretagne, de son côté, se classe en 7position derrière la Russie. Le britannophile que je suis ne pouvait s’empêcher de le souligner…

Quant au Canada, son classement au palmarès demeure stable en 14eplace.

La contribution canadienne à la victoire du Brexit

canadabrexitAyant suivi la campagne référendaire britannique de juin dernier avec un vif intérêt, cet article paru dans le quotidien londonien The Telegraph au sujet de la contribution d’une firme canadienne à la victoire du Brexit n’allait certainement pas me laisser indifférent.

Selon Dominic Cummings, directeur de la campagne Vote Leave: “Without a doubt, the Vote Leave campaign owes a great deal of its success to the work of AggregateIQ. We couldn’t have done it without them.”

Cette firme, qui n’est pas campée idéologiquement et qui est basée à Victoria en Colombie-Britannique, développe des stratégies de mobilisation permettant aux campagnes de rencontrer leurs objectifs. Le tout basé sur des outils informatiques et l’utilisation de banques de données. AggregateIQ s’est donc employé à mettre au point des modèles sophistiqués pour la campagne du Brexit.

Dotée d’un budget impressionnant, la firme a consacré la part du lion de ce budget à des publicités Facebook ciblées rejoignant les électeurs que la campagne souhaitait mobiliser et faire voter. Ils sont donc passés outre les créneaux traditionnels utilisés par les agences de relations publiques et de marketing.

Pour ceux et celles qui s’intéressent aux nouveaux créneaux des technologies de l’information et de leur influence grandissante, cet article est un vibrant appel à s’éloigner des matrices traditionnelles pour plonger dans les nouveaux courants. À moins de vouloir être englouti par le tourbillon qu’elles génèrent.

Albin Michel connaît mal Winston Churchill

Churchill1936Hier, j’ai eu le plaisir de passer un bon moment dans l’une de mes librairies favorites. Ce sont naturellement les ouvrages consacrés à l’histoire miliaire qui ont retenu mon attention.

Il en fut ainsi de celui de Gilbert Grellet, Un été impardonnable, au sujet de la Guerre d’Espagne paru chez Albin Michel.

Quel ne fut pas mon étonnement, en parcourant la couverture arrière du livre, de constater une erreur aussi grossière qu’incompréhensible de la part d’une maison d’édition de cette importance.

Permettez-moi de citer l’extrait qui m’a fait sursauter:

« Indifférentes à ces crimes de masse, la France de Léon Blum, l’Angleterre de Churchill et l’Amérique de Roosevelt ont refusé d’intervenir pour aider les démocrates espagnols […]. »

Non mais, sérieusement?

Relisez bien le sous-titre de l’ouvrage : « 1936 : la guerre d’Espagne et le scandale de la non-intervention ».

Comment alors peut-on imputer à Churchill – qui arrivera aux affaires le 10 mai 1940, donc près de quatre ans plus tard – la responsabilité de la non-intervention de la Grande-Bretagne dans le conflit espagnol quatre ans plus tôt?

Churchill, rappelons-le, est en pleine traversée du désert dans les années 1930. On ne saurait donc lui imputer une posture, aussi malheureuse soit-elle, des mandarins et décideurs de Westminster. Chose certaine, il n’était certainement pas l’égal d’un Blum ou d’un Roosevelt, lesquels étaient, doit-on le rappeler, aux affaires. Contrairement à Churchill.

C’est Stanley Baldwin qui présidait le gouvernement de Sa Majesté en 1936.

Inutile de mentionner qu’en constatant une telle erreur, j’ai replacé ce livre bien à sa place sur la table. Si une maison d’édition renommée laisse passer une telle erreur sur une couverture arrière, combien d’autres peuvent être embusquées dans les pages du livre?

Bref et pour tout dire et à moins que l’on puisse justifier cette utilisation du nom de Churchill, la connaissance historique des réviseurs d’Albin Michel est carencée. Et c’est franchement désolant.

Un rapide coup d’œil à la biographie de Sir Winston Churchill aurait pourtant permis d’éviter un écueil important.