Ian Fleming et James Bond: tel père, tel fils

Dans Skyfall (le meilleur film de James Bond à mon humble avis), il y a une scène où 007 fausse compagnie aux mercenaires de Silva en empruntant un tunnel secret dissimulé dans la maison de son enfance. Au moment de s’y engouffrer, le mythique agent secret déclare : « j’ai toujours détesté cet endroit ». Cette déclaration se veut non seulement emblématique des sentiments du personnage, mais aussi de son créateur, Ian Fleming.

Dans l’enlevante biographie qu’il consacre au père de James Bond (Perrin), l’historien Christian Destremau permet au lecteur de constater à quel point le père et le fils littéraire partagent le même ADN. Amour des voitures, de la vitesse, des douches à l’eau chaude, des montagnes, caractères irrévérencieux et vie sexuelle bien assumée, voilà autant de traits donnés par Fleming à son emblématique personnage. Et j’oubliais que la mère de l’agent du MI6 est Helvète, tout comme celle de Fleming. Je laisserai aux psychologues le plaisir d’épiloguer sur la parenté entre les deux hommes, mais je peux facilement imaginer que l’auteur aurait rêvé de vivre les aventures de son héros. Après tout, n’est-ce pas là le but de la fiction?

Cela dit, n’importe quel amateur des questions de renseignement, aussi novice soit-il, aura tôt fait de constater que M. Bond détonne de manière très exubérante par rapport à la discrétion élémentaire requise de la part des manœuvriers de cet univers ombrageux. Rares doivent être ceux et celles qui raffolent d’attirer l’attention. Il n’est donc guère étonnant que le biographe écrive que « […] James Bond est pour une large part l’héritier des braves du SOE » (Special Operations Executive) – les légendaires services spéciaux créés par Churchill quelques semaines après son arrivée aux commandes en juillet 1940.

Et pour cause, puisque Fleming fait partie de l’état-major particulier du contre-amiral John Godfrey, grand manitou du Naval Intelligence Department depuis les mois précédent le conflit mondial. Il contribuera donc à la mise en service de ces hommes (aucune femme n’en fait alors partie) chargés de mettre en échec l’ennemi dans des missions tout aussi périlleuses que payantes si elles réussissent.

Un peu comme le père de 007, ces hommes sont des anticonformistes dont les talents seraient probablement mal utilisés et peu appréciés dans les unités régulières. L’uniformité leur permet de bien opérer. Mais « face à la puissance et à la maîtrise de l’art de la guerre allemandes, il faut utiliser tous ces individus que les armées de temps de paix rejettent ou maintiennent dans des voies de garage. » Le genre d’individus dont raffolait Churchill, qui fut d’ailleurs un ami du père de Fleming, dont il rédigera la colonne nécrologique après que celui-ci fut tombé au champ d’honneur en mai 1917 au nord de Saint‐Quentin en France. La table était mise pour l’entrée en scène de l’agent écossais quelques années plus tard.

Je me suis régalé du chapitre à l’intérieur duquel Christian Destremau évoque la contribution directe de Ian Fleming à la naissance de l’OSS (Office of Strategic Services) – ancêtre de la CIA – et ce, au grand dam du tout-puissant J. Edgard Hoover du FBI. Rien de bien étonnant puisque FDR avait « […] un faible pour les amiraux et pour les affaires secrètes. » Quelques années plus tard, Fleming devenu auteur à succès déconseillera personnellement à JFK d’éliminer Fidel Castro par le flingue, mais d’y aller plutôt par l’isolement. On connaît la suite.

Mais là où je fus estomaqué, c’est en lisant à quel point Ian Fleming a passé la majeure partie de sa vie en « situation d’échec permanent » jusqu’à la Seconde Guerre mondiale et, sur le plan financier, jusqu’à l’apparition de son personnage en librairie. Le futur auteur à succès dépendra donc de l’aisance financière de sa mère jusqu’à ce que ses œuvres deviennent des best-sellers. Il mourra à 56 ans, 11 ans seulement après la publication de Casino Royale.

Guerrier de bureau pendant la Seconde Guerre mondiale, Ian Fleming contribuera néanmoins, par son œuvre, à vitaminer la présence de son pays sur la scène internationale, alors que la Grande-Bretagne encaisse un déclin douloureux aux quatre coins du monde.

L’auteur résume ainsi la contribution du père et du fils : « Fleming et son héros n’ont‐ils pas contribué, d’une certaine façon, à conforter l’Amérique et, accessoirement, son allié britannique, dans une certitude : ils sont invincibles et finiront toujours, après avoir défait Hitler et le nazisme, par triompher des méchants, quels qu’ils soient. »

À l’heure où l’Occident doit composer avec la montée en puissance de la Chine et répondre aux manœuvres agressives de la Russie, il va sans dire que les vertus d’assurance, de classe et de détermination indomptable de 007 ont tout pour contribuer à remonter un moral qui aurait bien des motifs d’être en berne.

Sous la plume de Christian Destremau, Ian Fleming est tout aussi fascinant que son personnage – voire même plus, je dois l’avouer. Je ne connais pas beaucoup l’auteur, mais perçois en lui une très grande affinité, pour ne pas dire une affection discrète, pour l’univers britannique, ce qui le rend encore plus sympathique à mes yeux.

Bref, ce livre est le compagnon idéal en attendant la sortie en salle de No Time To Die à l’automne prochain. Si madame la Covid le permet…

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Christian Destremau, Ian Fleming : Les vies secrètes du créateur de James Bond, Paris, Perrin, 2020,352 pages.

Je tiens à remercier les gens des Éditions Perrin et de Interforum Canada pour leur précieuse collaboration.

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