« Le déploiement de vaccins au Canada est l’opération la plus complexe et sensible à laquelle j’ai participée. » – Mgén Dany Fortin

Le Major-général Dany Fortin (source: Forces armées canadiennes)

Originaire de Montmagny et diplômé du Collège militaire royal Saint-Jean (CMR), le Major-général Dany Fortin est actuellement vice-président de la logistique et des opérations à l’Agence de la santé publique du Canada depuis le 27 novembre 2020. À ce titre, il est en charge des opérations de distribution des vaccins pour lutter contre la Covid-19 à travers le pays.

Sa longue feuille de route l’a notamment mené à servir sur les théâtres d’opération en Bosnie et en Afghanistan. Détenteur d’une maîtrise en arts et sciences militaires du Collège de commandement et d’état-major général de l’Armée américaine (CGSC) à Fort Leavenworth, Kansas (États-Unis). En 2017, il a été affecté au Bureau du Conseil privé (le saint des saints du gouvernement fédéral) à Ottawa, à titre de directeur des opérations au secrétariat de la politique étrangère et de défense. En 2018-2019, il a dirigé la mission de l’OTAN en Irak.

Le Major-général Fortin est, en quelque sorte, celui qui fournit les minutions aux provinces pour vaincre la pandémie, un vaccin à la fois. Un leader très bien outillé pour mener ce combat.

Malgré un horaire surchargé et d’énormes responsabilités, le Major-général Fortin a néanmoins accepté de répondre à mes questions. Et c’est avec grand plaisir que je partage avec vous le contenu de cet entretien exclusif.

Face à une demande mondiale grandissante et des défis de production chez tous les manufacturiers, les quantités de vaccins et les calendriers de livraison nécessitent une coordination étroite et sans relâche avec toutes les parties prenantes.

Major-général Fortin, pourriez-vous me dire ce qui, dans votre carrière militaire, vous a le mieux préparé à ce que vous accomplissez actuellement?

C’est l’ensemble de compétences et expériences acquises tout au long de ma carrière je crois, que ce soit en opération ou en commandement d’unités et de formations diverses. Mes expériences au niveau tactique depuis mes débuts comme officier au 5e Régiment d’artillerie légère du Canada, à Valcartier et au fil du temps les commandements de régiment, brigade, division et mission de l’OTAN en Irak. Je crois que deux expériences récentes m’ont été particulièrement utiles dans mon rôle actuel de vice-président de la logistique et des opérations à l’Agence de la santé publique Canada (ASPC).

En 2017, j’ai été détaché pendant près d’un an au Bureau du Conseil privé spécifiquement au secrétariat de la politique étrangère et de défense. C’est dans ce poste que j’ai pu vraiment comprendre la prise de décision au gouvernement, les relations intergouvernementales et interministérielles, ainsi que le fonctionnement du gouvernement fédéral.

Ma deuxième expérience pertinente était en mars 2020 lorsque j’ai été désigné commandant de la force opérationnelle interarmées Laser, la force responsable d’exécuter la réponse pan-nationale des FAC à la pandémie COVID-19. Mon quartier-général de la 1re Division canadienne a exercé ce rôle pendant deux mois. Cette expérience m’a permis de comprendre en outre le rôle de l’ASPC et l’impact de la pandémie.

Je crois que ce sont toutes ces expériences jumelées ensemble – ce que j’ai appris de chaque position que j’ai occupée et ainsi que de chaque déploiement que j’ai eu, qui me permet de mener à bon terme et du mieux que je peux la distribution des vaccins au pays.

Le déploiement de vaccins au Canada est l’opération la plus complexe et sensible à laquelle j’ai participée. Les défis ainsi que les opportunités sont nombreux et nous poussent à modifier des procédés et innover.

Quel est le principal défi logistique que vous êtes appelé à surmonter dans votre rôle en tant que vice-président de la logistique et des opérations à l’Agence de la santé publique du Canada?

Il s’agit d’une opération de grande envergure et d’une complexité sans précédent. C’est la première fois que le fédéral, les provinces et les territoires déploient des vaccins à cette échelle. L’ampleur, la portée et la rapidité requise pour cette opération n’ont pas changé depuis que cette tâche nous a été confiée pour la première fois et il reste encore beaucoup à faire.

Le Canada est un immense pays avec une population dispersée et où des centaines de milliers vivent dans des communautés isolées et éloignées. Ce sont des défis de géographie et de temps.

Différents vaccins-candidats ont été approuvés pour administration au pays depuis décembre 2020. Étant donné les considérations spéciales de transport et de manutention de certains vaccins, il a été nécessaire de mettre sur pied une chaîne de froid robuste à l’échelle nationale et la distribution de millions d’items de vaccination. Ceci inclue des centaines de congélateurs pharmaceutiques de différents types partout au pays. Nous avons fait appel à un fournisseur de services logistiques de portée mondiale avec expérience avec les produits pharmaceutiques. Face à une demande mondiale grandissante et des défis de production chez tous les manufacturiers, les quantités de vaccins et les calendriers de livraison nécessitent une coordination étroite et sans relâche avec toutes les parties prenantes et combiné aux fluctuations de production et les mesures de contrôle d’exportation, nous sommes constamment en train d’ajuster notre déploiement avec les provinces et territoires pour minimiser l’impact et assurer leur succès.

Nous apprenons tous, au fur et à mesure que l’opération avance.

Est-ce que le déploiement que vous présidez est comparable ou plus complexe qu’une opération militaire? Pourriez-vous nous dire pourquoi en quelques lignes?

Chaque opération possède ses caractéristiques qui la distinguent. L’opération du déploiement des vaccins contre la COVID-19 au Canada en est une d’une complexité considérable et nouvelle.

Être impliqué dans une opération militaire signifie généralement que nous savons plus ou moins à quoi s’attendre et comment se préparer du mieux que nous le pouvons. Ce qui saute aux yeux pour l’opération du déploiement des vaccins est le fait que nous apprenons tous, au fur et à mesure que l’opération avance.

L’équipe du Centre national des opérations, largement composée de militaires, a été mise sur pieds moins d’un mois avant la réception de la première livraison de vaccins en décembre 2020. Nous nous ajustions rapidement, nous avons réussi à avoir une force agile et adaptée à la réalité en peu de temps.

Le déploiement de vaccins n’est cependant pas une opération militaire. Mes collègues militaires, employés de la Fonction publique au sein de l’ASPC et autres ministères travaillent en étroite collaboration au sein d’équipes interagences. On apprend de l’un et l’autre – culture, procédés prouvés avec rigueur militaire, perspectives scientifiques, expertises en relations fédérales-provinciales-territoriales-autochtones, et politiques coexistent pour un effet optimal. Les militaires ont leurs propres façons de faire, acronymes et méthodes. Mais dans cette opération, nous sommes en soutien à une agence civile, et donc ça donne un contexte complètement différent d’une opération militaire. Ce que nous apportons par contre, c’est la rigueur et les aptitudes de planification qui nous sont propres.

Je m’intéresse beaucoup à tout ce qui est relatif à Israël (à titre informatif, j’ai d’ailleurs obtenu une entrevue avec le Directeur de la R&D du ministère israélien de la défense, le BGén (ret.) Daniel Gold en octobre dernier. Ces derniers mois, ce pays est devenu un modèle au niveau de la gestion de la crise de la Covid-19, notamment au niveau de l’administration des vaccins. Y a-t-il des aspects du modèle israélien dont votre équipe s’inspire dans ses opérations?

En fait, je crois que nous apprenons tous les uns des autres. C’est une nouvelle situation qui implique le monde entier, pas juste pour le Canada. Toutefois, nous avons des réalités différentes, et lorsqu’une démarche fonctionne pour un pays, on l’étudie pour voir si cela peut s’appliquer chez nous et comment.

Nous avons partagé des observations et leçons avec nos collègues américains, britanniques, israéliens et bien d’autres. Il en va de même avec nos collègues scientifiques qui échangent constamment avec les autorités compétentes à travers le monde.

Un an après le déclenchement de la pandémie, nous pouvons maintenant adopter un certain optimisme prudent quant au futur.

On parle presque toujours de ce qui va mal, les mauvaises nouvelles sont omniprésentes. Dans votre rôle, y a-t-il quelque chose que vous observez qui vous inspire de l’optimisme?

La volonté et persévérance de toute l’équipe qui travaille directement et indirectement à la distribution des vaccins. C’est un travail collectif et c’est grâce à chacun et chacune de ces personnes-là que nous arrivons à livrer les vaccins aux Canadiennes et Canadiens. Un an après le déclenchement de la pandémie, nous pouvons maintenant adopter un certain optimisme prudent quant au futur.

Depuis les derniers mois, votre rôle en est un qui s’accompagne naturellement de beaucoup de pression et, inévitablement, de stress. Que faites-vous pour décompresser?

Bien entendu mon effort principal, ainsi que chez mes collègues est le déploiement de vaccins en coordination étroite avec toutes les parties prenantes. C’est un effort soutenu et les journées sont remplies. Je m’efforce personnellement à garder un bon équilibre avec course, raquettes et maintenant le vélo – des sports de pandémie! Un peu de lecture, bon repas et, autant que possible, planifier du temps de qualité avec ma conjointe la fin de semaine.

De par le nom de mon blogue, vous comprendrez que je suis un féru d’histoire et de lecture. Si jamais vous partagez aussi cette passion et disposition, accepteriez-vous de nous dire quel genre de livres vous aimez parcourir et quelles sont les figures historiques ou contemporaines qui vous inspirent?

Quelques suggestions sur le dessus de la pile:

The Generals de Thomas Ricks; Ma copie m’a été donnée par le LGén (ret) Dallaire, une personne que j’admire beaucoup.

The Generals – The Canadian Army’s Senior Commanders in the Second World War, Canada at War et Who Killed the Canadian Military – tous sous la plume de J. L. Granatstein;

Pilliers de la Terre et Un monde sans fin de Ken Follet, deux romans que j’ai lu en Irak; et finalement, un document référence qui m’a été bien utile : What Everyone Needs to Know About Islam de John Esposito.

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Je tiens à exprimer ma sincère reconnaissance au Capitaine Nadine Abou Rjeily, officier d’affaires publiques pour le vice-président de la logistique et des opérations à l’Agence de la santé publique du Canada, pour sa précieuse collaboration dans la réalisation de cette entrevue.

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