Je me suis souvent posé la question à savoir comment se sentaient les soldats qui ont été parachutés et qui sont débarqués en Normandie dans le cadre de l’Opération Overlord. À la fin de l’été 2015, j’ai eu l’immense privilège de fouler le sable de Juno Beach, le secteur canadien du débarquement. Après la visite d’une position fortifiée, nous nous sommes dirigés sur la plage avec notre guide. J’ai alors été envahi d’un double sentiment. Je ressentais d’une part une très grande fierté de savoir que les bottes canadiennes ont traversé ce sol sacré pour libérer l’Europe de la horde brune. D’autre part, je ne pouvais m’empêcher de me demander comment ces hommes se sentaient au moment d’accomplir le destin auquel leur dévouement les appelait.
J’ai visionné la série Band of Brothers à d’innombrables reprises, ainsi que le film Saving Private Ryan avec l’incomparable Tom Hanks. Pour tout dire, l’épopée du débarquement en Normandie me fascine au plus haut point et j’ai lu quantité de livres sur le sujet. Mais aucun n’avait répondu à cette lancinante question qui m’habitait depuis des années.
Avant le début de la pandémie de la Covid-19, je me suis procuré un exemplaire du livre D-Day : Les soldats du Débarquement de l’historien écrivain britannique Giles Milton. D’abord à cause du sujet, mais aussi parce que j’apprécie particulièrement cet auteur qui donne toutes ses couleurs à la bravoure des hommes et des femmes en temps de guerre. Je vous parlerai un jour de son fameux Les saboteurs de l’ombre : Le guerre secrète de Churchill contre Hitler.
Tout cela pour dire que je me suis plongé avec délectation dans son D-Day et j’ai savouré chaque instant de cette lecture palpitante. Il y brosse le portrait vivant et touchant de ces hommes et de ces femmes qui ont été les acteurs, souvent bien involontaires, de ce chapitre de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Je ne vous étonnerai probablement pas en affirmant que la peur est le sentiment dominant de cette fresque soldatesque à laquelle une foultitude de civils a également été conviée. Les adeptes de la geste militaire y trouveront l’illustration qu’un bon entraînement peut sauver des vies et la mise durant les combats.
Mais ce n’est pas l’élément principal que j’en retiens. C’est plutôt dans l’allée du courage que j’ai trouvé la réponse à ma question. « Ce matin-là », nous dit Giles Milton, « tout se joua sur l’héroïsme individuel. » Et les exemples qu’il fournit à cet égard sont nombreux. Dans ce registre, il serait impardonnable que je ne mentionne pas « Simon Fraser, 15e Lord Lovat, un indomptable chef de clan écossais dont la distinction n’avait d’égal que le flamboyant panache. » Une fois débarqué sur Sword Beach, celui-ci « […] avançait tranquillement dans les vagues. C’était comme s’il était insensible au danger. » Un personnage aussi excentrique que pouvait l’être la présence de son joueur de cornemuse avec lui dans cette matinée épique que vous aurez le plaisir de découvrir si vous parcourez ce livre – ce que je vous souhaite ardemment!
Mais le passage le plus saisissant du livre concerne la mort d’un jeune militaire qui s’était élancé sur Omaha Beach dans la première vague. Je laisse la suite à l’auteur :
« Davis vit un jeune fantassin [américain] prendre une balle dans la carotide. « Il était soutenu par des camarades qui tentaient frénétiquement d’arrêter l’hémorragie. Ils pressaient des serviettes sur son cou » – tout cela au milieu de tirs nourris – « et appliquaient des points de compression, mais sans aucun résultat. » Le garçon avait bien compris que leurs efforts étaient inutiles. Il « sourit à ses copains, fit un petit signe de la main pour dire “au revoir” et perdit si vite la vie qu’on eût dit qu’une main était passée sur son visage ». »
J’ai lu quelque part récemment que si on ne choisit pas le moment de sa mort, on peut décider de la manière de quitter ce bas monde… Calmement, devant le destin, ce jeune soldat avait passé le flambeau à ses camarades. Sa mission était accomplie et il pouvait rejoindre le panthéon de ces héros qui ont transformé une situation potentiellement catastrophique (péniches qui arrivent au mauvais endroit, bombardements qui n’ont pas atteint l’objectif de neutraliser les positions allemandes, problèmes de communications et j’en passe…) en succès militaire qui fait maintenant partie des annales et à la santé duquel on boit dans les soupers régimentaires.
Pour être mieux guidé dans son pèlerinage terrestre, l’être humain est constamment à la recherche de modèles, de figures inspirantes, de héros. Il s’agit d’un tel besoin que nous sommes toujours friands de fragments valeureux qui voisinent notre quotidien. À preuve, tous les récits que nous entendons depuis quelques mois lorsqu’il est question des membres du personnel médical luttant courageusement et sans répit contre la COVID-19 – bien souvent au péril de leur propre santé.
Qu’à cela ne tienne, Giles Milton nous permet de constater qu’ils furent nombreux à s’envoler vers ce Panthéon le 6 juin 1944. Et c’est une entrée dans la légende remarquablement bien racontée.
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Giles Milton, D-Day : Les soldats du Débarquement, Lausanne, Les Éditions Noir sur Blanc, 2018, 560 pages.
Je remercie vivement M. Milton pour son aide dans la préparation de cette recension.
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