Je recensais, en décembre dernier, le très pertinent livre du journaliste et sinologue François Bougon, Hong Kong, l’insoumise (Tallandier). Dans la foulée de cette publication, l’auteur a accepté de répondre à quelques questions sur ce sujet chaud de l’actualité internationale, notamment suite à l’arrivée du président Joe Biden aux commandes et au niveau des développements entourant les relations entre la nouvelle équipe en place à Washington et le gouvernement de Pékin.
Dans le dossier de la rétrocession de Hong Kong à la Chine, l’empressement britannique a poussé Deng Xiaoping a adopter une position dure.
M. Bougon, sous votre plume, la première ministre britannique Margaret Thatcher apparaît comme étant chancelante, mal à l’aise. On semble être à des lustres de la « Dame de fer ». Selon vous, quelle est le bilan global de sa gestion du dossier de la rétrocession de Hong Kong? Aurait-elle pu agir autrement?
Les Britanniques ont été pris à leur propre piège en mettant sur la table la question de l’avenir de Hong Kong à la sortie du maoïsme, alors que les Chinois ne la considéraient pas comme prioritaire.
Il existait différentes opinions à cette époque au sein des élites du Royaume-Uni. Certains étaient partisans de tenter le tout pour le tout afin de maintenir la présence dans l’une des dernières colonies britanniques. D’autres étaient plutôt partisans de se retirer pour se consacrer pleinement aux affaires européennes et aussi pour satisfaire les revendications de Pékin. Margaret Thatcher a dû trancher entre ces différents avis, consultant même des personnalités chinoises de Hong Kong proches à la fois du parti conservateur et des autorités communistes. Lors de sa première visite à Pékin, elle pensait pouvoir adopter une ligne de fermeté, mais elle a dû faire face à un « homme de fer » sur la question de la souveraineté chinoise, Deng Xiaoping.
Les Chinois avaient donc dans un premier temps été pris au dépourvu. Des groupes de travail s’étaient penchés sur Taïwan, imaginant la solution « un pays, deux systèmes » – qui sera appliquée par la suite pour Hon Kong – mais pas sur la colonie britannique. L’empressement du Royaume-Uni à vouloir régler la question de la restitution des Nouveaux Territoires – censée intervenir en 1998, le bail étant de cent ans – a poussé aussi les Chinois à se mettre en branle. Et cet empressement britannique a été vu par Deng comme une volonté de vouloir rester sur ce bout de terre chinoise, le conduisant à adopter cette position dure.
D’autres scénarios étaient possibles bien évidemment, par exemple conserver le reste du territoire et abandonner les Nouveaux Territoires, mais les Britanniques ont considéré que la colonie sans cet élément territorial important n’était pas viable. Ce qui était considéré au départ comme un problème technique – tenter de régler cette question du bail pour rassurer les investisseurs – est devenu une négociation politique, dans laquelle la Chine avait une marge de manœuvre beaucoup plus importante. Et, contrairement à ce qui s’était passé avec les Malouines (Shetlands), où elle avait adopté une politique de la canonnière face aux Argentins, Margaret Thatcher ne pouvait user de la force mais de la dissuasion. De plus, les Chinois s’étaient engagés à maintenir le système capitaliste à Hong Kong pendant cinquante ans, ce qui a rassuré la Dame de Fer, les promesses n’engageant que ceux qui les écoutent… Et a elle adopté une position médiane, entre les partisans du statu quo et ceux penchant pour laisser les Chinois complètement aux affaires : placer le système hongkongais pendant cinquante ans au sein de la nation chinoise dans une sorte de bulle, préservant ainsi le capitalisme financier de la colonie.
Pour Pékin, il n’est plus question d’être pragmatiques ou d’amadouer les Occidentaux.
À travers les pages de votre dernier livre, on devine aisément à quel point Zhou Enlai a été une figure dominante – et pragmatique – dans le dossier de Hong Kong, probablement comme dans toute la politique chinoise durant sa présence aux côtés de Mao. Est-ce que le président chinois Xi Jinping peut compter sur la présence d’une figure « temporisante » comme Zhou Enlai dans son équipe?
Zhou Enlai avait compris l’importance de disposer d’un lieu de contact avec le monde capitaliste. Cela avait ainsi permis dans les années 1950 de contourner les sanctions décidées par les Américains et l’ONU au moment de la Guerre de Corée. Lorsque que les représentants chinois sur place – au sein de l’agence Chine officielle, qui faisait fonction d’ambassade sans en avoir le titre – ont soutenu en 1967 la politique de déstabilisation menée par une partie de la gauche hongkongaise pro-chinoise, marquée par des attentats réguliers pendant plusieurs mois, Zhou Enlai a tapé du poing sur la table, rappelant la politique de statu quo prônée par Mao à l’égard de Hong Kong.
Aujourd’hui, la situation a radicalement changé. Si Hong Kong est toujours un point de contact précieux avec le monde financier occidental, la Chine a profondément évolué. Le rapport de force avec l’Occident n’est plus le même. Ceux qui sont chargés du dossier hongkongais au sein de l’État-Parti insistent sur la nécessité de revendiquer la souveraineté chinoise sur ce territoire à l’histoire marquée par le colonialisme. Il n’est plus question d’amadouer les Occidentaux, ni de pragmatisme, il s’agit de les contenir, voire de combattre leur influence jugée néfaste dans l’ancienne colonie.
Pour demeurer dans le même répertoire, à quelle étoile montante du PCC devrions-nous accorder de l’intérêt et de l’attention comme successeur éventuel de l’actuel maître des lieux à Pékin?
Il est très difficile de répondre à cette question. Xi Jinping a changé les règles de succession en mettant fin à la limitation des mandats du président de la République de Chine. Pour l’heure, aucun successeur n’a été désigné. Cependant, on peut prédire l’ascension de proches de Xi au sein du Bureau politique au moment du XXe Congrès en 2022, en particulier Ying Yong. Cet ancien maire de Shanghai, que Xi avait connu dans la province du Zhejiang lorsqu’il la dirigeait entre 2003 et 2007, a été promu chef du Parti dans celle du Hubei au moment de la pandémie lorsque les dirigeants précédents ont été limogés en raison de leur piètre gestion du Covid-19.
Joe Biden s’est engagé à poursuivre la politique de Donald Trump et à placer Hong Kong et le Xinjiang au centre des discussions avec Pékin.
L’arrivée du Président Joe Biden aux commandes est-elle une bonne nouvelle pour le mouvement pro-démocratie de Hong Kong?
C’est une bonne nouvelle dans la mesure où Joe Biden s’est engagé à poursuivre la politique de Donald Trump et à placer Hong Kong et le Xinjiang au centre des discussions avec Pékin. Une fois dit cela, sa marge de manœuvre, au-delà des sanctions, est relativement limitée et toute pression américaine ne pourra entraîner qu’une réponse ferme de Pékin.
La politique de l’administration Biden par rapport à la Chine constitue une sorte de retour au pivot vers l’Asie d’Obama avec plus de fermeté.
À quoi pouvons-nous nous attendre de la part de la nouvelle administration américaine, au niveau des relations entre Pékin et Washington?
On peut s’attendre à une poursuite de la fermeté trumpienne. La différence réside dans le fait que Joe Biden et son administration tenteront de constituer un front commun anti-chinois en réinvestissant notamment les instances internationales comme l’ONU et l’OMS et en renforçant les alliances régionales, que ce soit avec l’Inde, le Japon ou l’Australie, dans cette zone que les Américains dénomment désormais l’Indo-Pacifique. C’est une sorte de retour au pivot vers l’Asie d’Obama avec plus de fermeté.
Alexey Navalny et Joshua Wong épousent la cause de la démocratie et ils en paient le prix actuellement. Quel destin attend le second selon vous?
À court terme, son destin sera celui d’un dissident politique au sein d’un régime totalitaire : la prison ou l’exil.
Si ce n’est pas trop indiscret et comme j’ai l’impression que vous nous offrirez un autre livre dans l’avenir, seriez-vous à l’aise de nous dire quel en sera le sujet?
Difficile à dire, j’ai écrit trois livres en quatre ans, j’ai besoin de me reposer intellectuellement et de me ressourcer. J’aimerais écrire un livre pour cerner cet empire qu’est désormais la Chine : ni le colonialisme des pays occidentaux au XIXe siècle, ni l’impérialisme étatsunien du XXe siècle. Bref, un impérialisme à caractéristiques chinoises, influencé par son passé prestigieux…
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François Bougon, Hong Kong, l’insoumise : De la perle de l’Orient à l’emprise chinoise, Paris, Tallandier, 2020, 272 pages.
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