Joe Biden sera aussi ferme que Trump par rapport à la Chine

Le journaliste et sinologue François Bougon (source: Asialyst).

Je recensais, en décembre dernier, le très pertinent livre du journaliste et sinologue François Bougon, Hong Kong, l’insoumise (Tallandier). Dans la foulée de cette publication, l’auteur a accepté de répondre à quelques questions sur ce sujet chaud de l’actualité internationale, notamment suite à l’arrivée du président Joe Biden aux commandes et au niveau des développements entourant les relations entre la nouvelle équipe en place à Washington et le gouvernement de Pékin.

Dans le dossier de la rétrocession de Hong Kong à la Chine, l’empressement britannique a poussé Deng Xiaoping a adopter une position dure.

M. Bougon, sous votre plume, la première ministre britannique Margaret Thatcher apparaît comme étant chancelante, mal à l’aise. On semble être à des lustres de la « Dame de fer ». Selon vous, quelle est le bilan global de sa gestion du dossier de la rétrocession de Hong Kong? Aurait-elle pu agir autrement?

Les Britanniques ont été pris à leur propre piège en mettant sur la table la question de l’avenir de Hong Kong à la sortie du maoïsme, alors que les Chinois ne la considéraient pas comme prioritaire.

Il existait différentes opinions à cette époque au sein des élites du Royaume-Uni. Certains étaient partisans de tenter le tout pour le tout afin de maintenir la présence dans l’une des dernières colonies britanniques. D’autres étaient plutôt partisans de se retirer pour se consacrer pleinement aux affaires européennes et aussi pour satisfaire les revendications de Pékin. Margaret Thatcher a dû trancher entre ces différents avis, consultant même des personnalités chinoises de Hong Kong proches à la fois du parti conservateur et des autorités communistes. Lors de sa première visite à Pékin, elle pensait pouvoir adopter une ligne de fermeté, mais elle a dû faire face à un « homme de fer » sur la question de la souveraineté chinoise, Deng Xiaoping.

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Le Berlin de l’Orient

J’ai tellement apprécié la lecture de son précédent ouvrage Dans la tête de Xi Jinping que j’étais impatient de mettre la main sur le plus récent livre du sinologue, journaliste et auteur réputé François Bougon, Hong Kong, l’insoumise : De la perle de l’Orient à l’emprise chinoise (Tallandier).

L’auteur y brosse avec maestria un tableau historique fascinant de la relation entre Londres et ce territoire colonial aux portes de la Chine. C’est donc durant le règne du roi George III que l’empire britannique s’est d’abord intéressée à la péninsule qu’allait devenir Hong Kong. Le commerce de l’opium allait instrumentaliser une relation entre l’impérialisme et le « port parfumé » si convoité par l’Orient et l’Occident.

Si le commerce justifiait l’incursion de Londres dans cette partie du monde – après tout, il fallait bien que le soleil ne se couche jamais sur les aspirations commerciales et politiques de Londres – c’est la force des armes qui aura permis d’asseoir le tout. Que ce soit lors des deux Guerres de l’opium au milieu du 19e siècle ou pendant la Révolte des Boxers à la fin du même siècle, la puissance militaire permettait d’assurer la prédominance des intérêts britanniques devant un empire chinois chancelant. Quelques décennies plus tard, le drapeau japonais éclipsera le Union Jack le jour de Noël 1941. Sombre jour pour les Britanniques.

François Bougon rappelle qu’au sortir du conflit, un diplomate britannique prône «« qu’il serait très peu sage d’entretenir même l’idée de laisser tomber Hong Kong ». D’autant qu’il faut se préparer à l’émergence d’une Chine forte, placée dans les rangs des futurs vainqueurs de la guerre. » Le vieux lion Winston Churchill soutient naturellement cette position, à laquelle la République populaire de Chine naissante contribuera pour un certain temps, parce que la récupération de Hong Kong n’était pas une priorité à court terme. Pour Mao, il s’agit d’«une mission à long terme». On ne perdrait rien pour attendre…

Pour un temps, Hong Kong devient donc un « Berlin de l’Orient ». Les choses bougeront sous le règne de Deng Xiaoping, lequel coïncidera avec les années où Margaret Thatcher était locataire du 10 Downing Street. Malgré la victoire dans la Guerre des Malouines, les Britanniques n’ont plus l’avantage sur l’échiquier international devant Pékin et le pouvoir chinois n’a pas l’intention de se laisser damer le pion. Londres doit respecter l’obligation stipulée dans le bail de 100 ans signé en 1898 au sortir de la seconde Guerre de l’opium. Le compte à rebours est lancé pour la rétrocession de la mégalopole et le système politique instauré par les représentants de Whitehall sera éclipsé par les diktats de Pékin. À cet égard, le déroulement des pourparlers entre le Petit Timonier et la Dame de Fer tel que relaté par François Bougon est très éclairant.

La table est ainsi mise pour l’opposition aujourd’hui incarnée par les héritiers de cette tradition démocratique occidentale que les sbires de Pékin aimeraient bien voir s’évanouir devant leur agenda.  

Plusieurs personnages hauts en couleur font leur apparition sous la plume alerte et agréable de François Bougon. Des Écossais négociants d’opium James Matheson et William Jardine (au 19e siècle) au résistant Joshua Wong en passant par le pragmatique et fascinant Zhou Enlai et le célèbre écrivain Ernest Hemingway, le destin du territoire a toujours été forgé par des personnalités plus grandes que nature. Les Gurkhas, ces soldats d’élite britanniques, y font également une apparition lorsqu’ils sont appelés à contenir la violence sévissant sur le territoire dans les années 1960.

Pour tout dire, aucune page de cette brillante analyse n’est superflue. Entre les lignes, on peut facilement comprendre que, à l’heure où la puissance militaire est passée du côté chinois, seul le pragmatisme permettra à l’Occident de tirer son épingle du jeu dorénavant. Un peu comme Berlin durant la Guerre froide, il serait étonnant que les capitales occidentales veuillent faire entendre le bruit des bottes pour résoudre le dossier. Nous pourrons certes continuer à admirer ces jeunes fougueux qui défendent les thèses démocratiques devant le rouleau compresseur communiste, mais la balance du pouvoir semble maintenant être fermement du côté de Xi Jinping.

Il s’agit donc d’un livre à lire, et rapidement, par tous ceux et toutes celles qui s’intéressent à la place de la Chine dans les affaires mondiales et au destin de la démocratie sur la planète. Cette dernière ne pourra être efficacement défendue que si nos gouvernants décident d’y investir les efforts nécessaires, notamment en prenant conscience que seule la force (principalement militaire) peut efficacement sauvegarder les principes démocratiques dans une confrontation avec un régime dont les valeurs sont aux antipodes. Toutes les discussions de salon, les banderoles et les bons souhaits ne peuvent équivaloir à une dissuasion sérieuse. Pékin ne le sait que trop bien.

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François Bougon, Hong Kong, l’insoumise : De la perle de l’Orient à l’emprise chinoise, Paris, Tallandier, 2020, 272 pages.

Malgré plusieurs démarches, il m’a été impossible d’obtenir un exemplaire de ce livre auprès du service de presse des Éditions Tallandier au Canada. Je suis néanmoins très reconnaissant envers Mme Isabelle Bouche, responsable des communications de la maison d’édition à Paris, de m’en avoir transmis une version électronique.

Dans la tête de Xi Jinping

DansLaTetedeXiJinpingIl y a quelques années, je me souviens avoir vu une photo du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, prise dans l’avion alors qu’il se rendait en Chine. Sur sa table se trouvait le livre d’Henry Kissinger On China. J’avais alors été impressionné par la hauteur de vue du dirigeant israélien, boulimique de lecture et avide de connaissances à propos de cet Empire du Milieu avec lequel il souhaitait resserrer les liens.

Je suis peut-être trop sévère, mais je suis d’avis que les Nord-américains ont trop tendance à prétendre que le monde tourne autour des États-Unis et de l’Europe. À preuve, l’intérêt dominant consacré à la politique américaine (et à Donald Trump) quand on aborde la politique internationale.

Au-delà de cette étroitesse de vue, il y a le reste du monde. Et nous passons à côté de l’ascension de la 2epuissance mondiale, une « […] Chine qui se flatte d’être la seule puissance capable de tenir tête culturellement, économiquement, militairement aux États-Unis », pour reprendre les mots de François Bougon dans son livre Dans la tête de Xi Jinping.

Parce qu’il faut bien le dire, le président chinois est le principal architecte de la posture internationale actuelle de son pays. De la nouvelle route de la soie aux opérations en mer de Chine méridionale, en passant par la progression du fleuron technologique chinois Huawei aux quatre coins du monde, l’homme fort de Pékin alterne entre un usage judicieux du hard power (force militaire) et du soft power(rayonnement culturel) pour avancer ses pions sur l’échiquier mondial, enfilant les habits du chef de file de l’alternative au modèle occidental, « la fatigue démocratique [gagnant] un peu partout. »

Pour bien mesurer le socle du positionnement de la Chine dans le monde, il est essentiel de bien et mieux connaître la personnalité et la pensée de celui qui en préside les destinées. C’est justement ce à quoi s’emploie l’auteur dans un (trop) court ouvrage visant à faire prendre conscience au lecteur et à la lectrice que, même si Xi Jinping ne figure pas parmi les leaders mondiaux les plus sulfureux ou polarisants (nous avons bien quelques exemples en tête…), il n’en demeure pas moins que « Xi est l’homme qui rompt avec cette doctrine du profil bas, donnant ainsi des gages aux jeunes et moins jeunes générations de nationalistes. »

En jouant sur la corde nationaliste, le Secrétaire général du Parti communiste chinois fait la synthèse de l’histoire plurimillénaire de son pays et c’est bien là l’un des atouts les plus importants dans son jeu. Xi Jinping ne deviendra jamais un Gorbatchev (on reproche au second d’avoir été le fossoyeur d’un empire – un destin qu’abhorrent les locataires du Zhongnanhai (quartier général du PCC)), mais il ne rechignera pas à utiliser tous les atouts à sa disposition – qu’ils s’appellent Confucius, Sun Tzu ou Mark Zuckerberg – pour mener le combat.

Que cela plaise ou non, la Chine est déjà en train d’écrire les pages de son avenir et du nôtre par la même occasion. « Pour lui [Xi Jinping], l’avenir est dans le passé », nous dévoile François Bougon. Avec son sourire gêné et sa démarche discrète, Xi Jinping s’avance donc sur la scène mondiale avec l’assurance d’un empereur soutenu par 5000 ans d’histoire. Et nous aurions tort de ne pas consacrer autant d’efforts à découvrir son parcours et sa pensée qu’à s’en méfier.

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François Bougon, Dans la tête de Xi Jinping, Arles, Actes Sud, 2017, 220 pages.