L’espoir renaît en 1942

Les auteurs Julien Peltier et Cyril Azouvi (YouTube)

Dans la foulée de ma recension de leur formidable livre 1942 – la « bissectrice de la guerre » – les coauteurs Cyril Azouvi et Julien Peltier ont aimablement accepté de répondre à quelques questions pour ce blogue. Je suis très heureux de livrer ici le contenu de notre échange.

D’entrée de jeu, avez-vous fait des découvertes qui ont suscité votre étonnement dans la rédaction de 1942?

Cyril Azouvi : Aucune « découverte » à proprement parler : l’importance de cette année charnière est connue de tous les historiens de la Seconde Guerre mondiale. Il est de notoriété publique que l’histoire a basculé en 1942 sur tous les fronts (Pacifique, Afrique du Nord, Russie), mais aussi dans bien d’autres domaines (la course à la bombe atomique, la constitution des Nations unies, la Résistance, la Shoah, etc). S’il y a eu découverte, elle a été d’ordre plus personnel : je me croyais savant que cette période, sur cette année et sur ces sujets. J’ai découvert, en plongeant dans le détail, que mes connaissances étaient somme toute assez floues et lacunaires. Ça a été une leçon de modestie! Et, du coup, un travail passionnant.

Y a-t-il des sujets que vous avez dû laisser de côté dans la rédaction du livre?

CA : Nous avons délibérément choisi de laisser de côté – et c’est tout le propos du livre – tout ce qui n’a pas « basculé » en 1942. Nous ne voulions pas faire un livre sur toute l’année 1942, une sorte d’éphéméride du 1er janvier au 31 décembre. Nous avons voulu mettre l’accent sur cette notion de charnière. Bien d’autres domaines de la guerre, bien d’autres fronts n’ont pas connu un basculement en 1942 : la bataille de l’Atlantique, la guerre en Chine, le nord du front russe… C’est pourquoi ces thèmes sont absents du livre.

Julien Peltier : Cet angle du tournant constitue en effet le cœur de notre démarche. Dans l’imaginaire collectif, 1942 est l’année de bascule au cours de laquelle l’espoir renaît. Nous voulions montrer que cette perception ne nait pas seulement a posteriori mais est déjà ressentie par certains acteurs. Mais aussi que la tendance n’est pas toujours à l’amélioration. C’est notamment le cas de la Shoah, qui entre dans une période d’extermination méthodique sans précédents.

Ce livre est aussi une histoire d’amitié.

Est-ce que certains chapitres vous étaient exclusivement dévolus ou est-ce que la totalité ont découlé d’un travail commun ? Parmi tous les chapitres, sur lequel avez-vous ressenti le plus de plaisir à travailler et pourquoi?

CA : Nous ne nous sommes pas répartis le travail en fonction des chapitres mais en fonction des manières de raconter : à Julien l’aspect visuel avec les infographies, à moi l’aspect écrit avec les textes. Dès lors, j’ai rédigé les neuf chapitres, et Julien a illustré en infographies les neuf chapitres. Concernant le plaisir que nous avons pris à travailler, trois moments me reviennent à l’esprit. Le premier chapitre, celui sur le Pacifique, car ce fut le premier, justement. Il avait un peu valeur de test, nous voulions voir si notre parti pris était valide et si notre duo fonctionnait. Ça a donc été un moment de tâtonnement très joyeux et très enthousiasmant, qui correspondait en plus à un thème, la guerre du Pacifique, qui me passionne particulièrement.

Il y a eu aussi le chapitre sur le front de l’Est, thématique que je possédais très mal et dans laquelle j’ai pourtant plongé jusqu’au cou en découvrant qu’elle me captivait. Il y a eu, enfin, le chapitre sur la Shoah, véritable moment douloureux du livre, d’abord à cause du sujet lui-même qui trouvait beaucoup d’échos dans l’histoire de ma propre famille, mais aussi de la difficulté de raconter cette histoire en en faisant ressortir une cohérence, une ligne directrice aussi forte que dans les autres chapitres.

JP : J’ajoute que ce livre est aussi une histoire d’amitié, car nous sommes de grands amis dans la vie. Il nous tenait à cœur de mener à bien un projet autour de notre passion commune pour l’histoire du second conflit mondial. J’espère que les lecteurs ressentent cette complicité. Comme Cyril, je crois avoir pris le plus de plaisir en abordant la guerre du Pacifique, parce que celle-ci est mal connue en France et pourtant passionnante. Et puis, c’est aussi l’avènement de la bataille aéronavale, un thème qui ne pouvait que séduire deux amoureux de l’aviation. 

À la page 140, vous écrivez « En Italie, Mussolini a toujours refusé, ou négligé, de livrer ses Juifs. » Je sais que cette question peut paraître vaste, mais quelle est votre évaluation globale du rôle du Duce dans la Seconde Guerre mondiale?

CA : Comme vous le dites, la question est trop vaste (et trop pointue!) pour que je puisse vous répondre. Encore une fois, j’ai limité mon étude à la seule année 1942, même si, pour en faire ressortir la singularité, il a fallu aborder aussi ce qui se passait avant et ce qui s’est passé après. L’attitude de Mussolini à l’égard des Juifs italiens n’est pas une question que j’ai particulièrement creusée, je serais mal à l’aise de vous répondre.

Le culte des troupes d’élite, commun à celui des commandos, est un récit qui naît bien après la Seconde Guerre mondiale.

J’ai particulièrement apprécié votre chapitre sur les commandos. Vous nous y rappelez que la Seconde Guerre mondiale a débuté par une action… commando! Avez-vous l’impression que leur contribution est sous-représentée dans l’historiographie, du moins francophone?

JP : Il faut garder à l’esprit que l’image véhiculée par la Seconde Guerre mondiale est dominée par la puissance mécanisée et le conflit de masse. Les rois des batailles ne sont plus les canons mais les Panzers et les Spitfires. Du reste, le public s’identifiera souvent au simple soldat plongé dans cet enfer, quelle que soit sa nationalité. Le culte des troupes d’élite, commun à celui des commandos, est un récit qui naît bien après, avec la fin des armées de masse, et qui s’épanouit d’autant plus aujourd’hui dans le cadre de conflits décoloniaux puis asymétriques souvent menés par une poignée de professionnels.

CA : Cette histoire est peu racontée, c’est vrai, mais c’est aussi que, malheureusement, la véritable contribution militaire des commandos est souvent sans commune mesure avec l’effort et l’engagement investis. Surtout si on la compare à celle des grands mouvements de troupes. Ce ne sont pas les actions des commandos qui font basculer l’histoire en 1942, c’est évident. Mais leur forme de guerre, où l’héroïsme, l’audace, le hasard et l’ingéniosité sont au premier plan, mérite toutefois d’être mentionnée.

Yamamoto résume à mes yeux les paradoxes dans lesquels le Japon d’alors se débat.

Si la possibilité vous était offerte de siroter un café avec l’une des figures politico-militaires que vous évoquez dans 1942, laquelle serait-ce et pourquoi?

CA : Question difficile et séduisante… Je pense que je choisirais Churchill, au risque de paraître prévisible. Pour sa truculence, pour son aura, pour ses cigares et son whisky, pour son franc-parler et ses formules taillées pour la postérité. Peu de grands leaders de l’époque (et d’aujourd’hui) ont une telle stature romanesque.

JP : Je choisirais probablement l’amiral Yamamoto, dont on sait qu’il n’était pas favorable à une guerre ouverte avec l’Amérique, du moins ne croyait-il pas en la possibilité d’une issue favorable pour son pays. L’homme est complexe. D’une certaine manière, il résume à mes yeux les paradoxes dans lesquels le Japon d’alors se débat.

Montgomery a parfois mauvaise réputation chez les historiens. A-t-il joué un rôle déterminant dans la guerre en Afrique du Nord?

CA : Certainement, mais peut-être moins militairement que psychologiquement, en effet. Beaucoup d’historiens s’accordent à dire que sa victoire d’El Alamein est moins due à son génie tactique et stratégique qu’à l’accumulation d’hommes et de matériel dont il a bénéficié, tandis qu’en face Rommel manquait de tout. Toutefois, il a su insuffler à la VIIIe Armée britannique, au moment où il s’est retrouvé à sa tête, un nouvel élan, un espoir qui semblaient perdus. Les batailles se gagnent aussi avec cela.

Je dois avouer que j’ai eu des frissons en lisant qu’il s’en est fallu de peu que Winston Churchill soit abattu en vol par des avions britanniques en janvier 1942. Y a-t-il d’autres anecdotes de ce genre que vous n’avez pas été en mesure d’inclure dans le livre et que vous pourriez partager avec nous?

CA : Bien sûr, il y en a plein, nous ne pouvions pas écrire une thèse sur chaque chapitre! L’histoire des commandos en regorge, notamment. Il est une opération que je n’ai pas mentionnée mais qui clôt véritablement la guerre puisqu’elle a lieu juste avant la capitulation du Japon, en juillet 45, et elle est rocambolesque : des plongeurs britanniques parviennent à sectionner des câbles électriques posés au fond de l’eau et alimentant le port de Singapour, aux mains des Japonais, paralysant le trafic maritime, puis réussissent à éviter les patrouilles japonaises et à regagner leur sous-marin de poche.

J’avoue être assez inquiet du modèle alternatif que la Chine s’efforce de proposer.

Julien Peltier, Vous êtes un spécialiste de l’histoire militaire en Asie. Avec le déplacement des plaques tectoniques géopolitiques, observez-vous que le rôle de ce continent dans la polémologie occupe une place accrue?

JP : Sans le moindre doute, même si le Japon n’y joue plus le rôle principal, qui revient à la puissance régionale tutélaire millénaire : la Chine. J’avoue être assez inquiet du développement des tensions dans la zone, non pas tant par crainte d’un conflit ouvert, dans lequel les belligérants ont plus à perdre qu’à gagner, mais dans le modèle alternatif que la Chine s’efforce de proposer. Son « capitalisme » autoritaire peut trouver des échos favorables dans des familles politiques très diverses, et même s’accorder avec ceux qui appellent de leurs vœux une transition énergétique plus rapide, soulignant la lenteur des processus démocratiques.

Avez-vous d’autres projets d’écriture sur votre bureau et, le cas échéant, pourriez-vous dire quel serait le sujet de ce ou ces prochains livres?

JP : Je crois pouvoir l’annoncer car ce n’est plus tout à fait un mystère mais un ouvrage proposant de faire un pas de côté pour raconter une autre histoire des samouraïs devrait être publié à la rentrée prochaine. J’apporterai également ma contribution à un projet collectif sur lequel il est un peu prématuré d’en dire plus, mais toujours en lien avec les guerriers japonais. Dans le domaine des infographies enfin, on se retrouve également à la rentrée avec un beau livre réalisé conjointement avec une institution. Là encore, il est trop tôt pour en révéler davantage. Prenons date!

CA : En ce qui me concerne, je me suis effectivement lancé dans un nouveau projet, qui n’a rien à voir avec « 1942 », si ce n’est que, là aussi, il s’agit d’une année charnière, bien que dans un tout autre domaine que l’histoire militaire!

Merci infiniment messieurs pour ce très agréable moment passé en votre compagnie! Je suis impatient de vous lire de nouveau.

________

Sous la plume de Cyril Azouvi et Julien Peltier, 1942 est publié chez Passés Composés.

Leave a Reply

Fill in your details below or click an icon to log in:

WordPress.com Logo

You are commenting using your WordPress.com account. Log Out /  Change )

Twitter picture

You are commenting using your Twitter account. Log Out /  Change )

Facebook photo

You are commenting using your Facebook account. Log Out /  Change )

Connecting to %s

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.