Okinawa: pivot stratégique du Pacifique

Fasciné par l’histoire militaire depuis mon plus jeune âge, mon imaginaire a été nourri des récits du débarquement en Normandie, de la bataille d’Arnhem – cet objectif trop ambitieux qui valut tant de reproches à Montgomery – ou encore de la légendaire bataille d’Angleterre, aux premières heures du conflit. Comme beaucoup sans doute, la guerre du Pacifique n’évoquait pour moi que le lointain écho d’un sacrifice immense, porté avant tout par les troupes américaines. Pour dire vrai, je méconnaissais largement ce théâtre, encadré qu’il était par les parenthèses marquantes de l’attaque de Pearl Harbor et de la capitulation du Japon après les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki.

Comment oublier les bons moments passés à regarder les épisodes de la série télévisée Les Têtes brûlées, avec le légendaire « Pappy » Boyington, que je suivais religieusement, l’étonnement teinté d’émotion lors d’une visite au monument d’Iwo Jima à Washington, D.C., ou encore l’admiration profonde que m’inspirait le caporal Desmond T. Doss dans Hacksaw Ridge ? Pourtant, une sérieuse lacune demeurait, à laquelle il me fallait remédier. L’historien militaire Ivan Cadeau y apporte une contribution précieuse dans son ouvrage Okinawa 1945 (Éditions Perrin).

poursuivre la lecture

Mahan’s Ideas Sank Hitler’s Ambitions at Sea

In their illuminating book about Winston Churchill’s involvement in the discussions, planning, and logistics surrounding the Normandy landings on D-Day, Lord Richard Dannatt and Allen Packwood describe how the duties of wartime leadership took a significant toll on the British Prime Minister’s health. But as Churchill himself admitted, there was only one thing that truly filled him with fear: the German U-boats that claimed so many Allied ships during the Battle of the Atlantic. And it’s easy to see why. Britain was isolated entirely – hemmed in by Nazi-occupied Europe, with America still months away from entering the war.

The attack on Pearl Harbor on December 7, 1941, changed everything. When Japanese forces shattered the peace of that Sunday morning, Churchill knew he finally had a powerful ally in President Franklin D. Roosevelt. Roosevelt would not only commit U.S. troops against the Axis but would also put into practice the doctrine of Alfred Thayer Mahan – the naval strategist who argued that “the sea has been the element through which history’s most decisive wars have been won”, as French researcher Antony Dabila reminds us.

Continue reading “Mahan’s Ideas Sank Hitler’s Ambitions at Sea”

Churchill, ce guerrier solitaire

Pendant près de 19 longs mois, Winston Churchill est seul à combattre le péril nazi avec les dominions britanniques. L’attaque sournoise qui déchire le ciel dominical à Pearl Harbor le 7 décembre 1941 met fin à cette solitude. Franklin D. Roosevelt et ses centurions entrent, enfin, dans la danse.

Mais toutes les alliances ont leurs jeux de puissance et la Seconde Guerre mondiale n’y fait pas exception. La montée en force des Américains correspond à la diminution de l’influence du premier ministre sur la conduite de la guerre. C’est l’un des principaux constats posés dans l’ouvrage éclairant de Lord Richard Dannatt et Allen Packwood, Le D-Day de Churchill : Dans les coulisses du Débarquement (Tallandier).

Malgré l’intention clairement exprimée par les Américains de procéder à un débarquement en France aussitôt qu’en 1942 (ils n’en auraient pas les capacités), Churchill sait que la partie est délicate parce qu’il ne peut « risquer de s’aliéner le président Roosevelt et George Marshall [chef d’état-major des Forces américaines]. Il ne pouvait pas non plus ignorer leur plan [un débarquement en France]. C’est ainsi que débuta un jeu diplomatique complexe. » Un ballet au cours duquel Churchill convainc FDR de prioriser un débarquement en Afrique du Nord comme « meilleur moyen d’alléger la pression qui pesait sur les Russes » qui bataillent sur le front de l’Est. Même si cela permet au descendant de Marlborough d’épargner une déconvenue majeure à ses alliés, ce n’est qu’une question de temps avant que le plan initial reprenne place en tête de liste.

poursuivre la lecture

The Presidential Satchel

Historically, the concept of war has followed a familiar script: one victor and one vanquished. However, there exists a scenario that defies this ancient logic — nuclear war. In such a case, writes Annie Jacobsen in Nuclear War: A Scenario (Dutton), “there is no such thing as capitulation. No such thing as surrender.” Only the scorched silence of what once was.

From the very first lines, the reader is drawn into a vortex of dread—a work of speculative fiction so meticulously constructed that it becomes indistinguishable from reality. This is not merely an intellectual exercise; it is a mirror held up to our world, one where the unthinkable remains entirely plausible—and where our ability to avoid catastrophe may depend less on preparedness than on our collective refusal to acknowledge the danger.

The scenario imagined by the author begins with a North Korean nuclear strike on the United States. Confronted with the unthinkable, the President has only six minutes –  six excruciating minutes – to respond, as Ronald Reagan warned in his memoirs. From this point of no return, events unfold with brutal logic, and everything collapses.

Continue reading “The Presidential Satchel”

Léon XIV est un pape de compromis

Le pape Léon XIV photographié après l’annonce de son élection avec le cardinal Pietro Parolin, à sa gauche. (Chicago Sun-Times)

Dans la foulée de ma recension de l’excellente biographie qu’il a consacrée au pape Pie XII, l’historien Frédéric Le Moal a généreusement accepté de répondre à quelques questions. Voici le contenu de notre entretien.

_____

Monsieur Le Moal, d’où est venue l’idée d’écrire une biographie consacrée à Pie XII? Quelle était votre motivation?

Cette biographie est en fait l’aboutissement de près de deux décennies de recherches sur Pie XII et la fameuse question de son attitude pendant la Seconde Guerre mondiale. J’avais déjà écrit un ouvrage sur le conclave qui avait élu le cardinal Pacelli en mars 1939 (Pie XII, un pape pour la France, Le Cerf, 2019). Quand Christophe Parry, des éditions Perrin, m’a proposé ce beau mais lourd travail biographique, je n’ai hésité que trois secondes avant d’accepter! Il m’offrait l’occasion de comprendre cette personnalité en réalité fort complexe et mystérieuse, sa cohérence et ses contradictions, les ressorts de son action et de ses prudences. Et seul le genre biographique permet de saisir un individu dans son ensemble.

poursuivre la lecture

La force des volontés : de Gaulle, Lecornu et l’esprit de défense

Depuis la fin de la Guerre froide, le monde occidental a délaissé le caractère belligène de l’histoire humaine. L’aube ukrainienne du 24 février 2022 – lors duquel l’Europe se réveilla au son des bottes et des véhicules chenillés – sonna un dur réveil pour les opinions et décideurs qui voulaient croire que la guerre était devenue dépassée dans la grammaire des relations internationales. Le monde vit au rythme des menaces qui planent, des réalignements qui se dessinent et des stratégies qui doivent être déployées.

Exception faite des États-Unis qui trônent en tant que superpuissance militaire – une posture adoubée par un éthos militaire trempé au feu d’une histoire dont plusieurs parmi les pages les plus inspirantes ont été écrites à l’encre de la bravoure des combattants, la France est l’un des pays occidentaux les mieux outillés pour affronter le contexte actuel.

Et cela n’a rien d’un hasard. Un homme, en particulier, y a contribué de manière incontestable : Charles de Gaulle. Refusant la débâcle, il fut contraint de quitter la France le 17 juin 1940 à bord d’un avion de la Royal Air Force avec deux valises pour seuls bagages – selon Denis Tillinac. Forgé au feu des épreuves qui ont émaillé les péripéties de la France Libre, de Gaulle sut incarner le fait que « la guerre [est] avant tout un affrontement des volontés », pour emprunter les mots de Sébastien Lecornu dans son éclairant livre Vers la guerre? La France face au réarmement du monde (Plon).

poursuivre la lecture

Le chemin de crête de Paul VI

Tout cela pour dire que le nouveau pape invite la curiosité à savoir quelles seront les orientations édictées à l’intérieur des murs léonins au cours des prochains jours et des prochaines semaines dans la gestion des rapports au monde. À cet égard, on pense immédiatement à la guerre en Ukraine. Le dossier israélo-palestinien est certainement ex aequo en termes d’importance.

Les relations entre le Vatican et Israël ont été officialisées par un accord paraphé le 30 décembre 1993 ont toujours revêtu un vif intérêt pour moi. J’étais donc impatient de plonger le nez dans le dernier livre de Michaël Darmon, Le pape et la matriarche : Histoire secrète des relations entre Israël et le Vatican (Passés / Composés). J’avais déjà fait la connaissance – sur le plan intellectuel – de ce brillant journaliste à l’intérieur d’un ouvrage qu’il avait consacré au président Nicolas Sarkozy avant l’élection de ce dernier.

poursuivre la lecture

Pie XII au milieu des loups

Je le confesse, mes premiers contacts avec Pie XII ont été difficiles. L’image du pape aux sympathies gammées avait la vie dure dans mon esprit d’étudiant. C’était avant que celui qui fut mon meilleur professeur d’histoire à l’université, un prêtre au jugement acéré, ne me guide vers une compréhension plus profonde – donc plus sérieuse – de ce Souverain pontife assujetti au devoir et à la prudence.

C’est donc avec un plaisir immense que j’ai dévoré le dernier livre de l’historien Frédéric Le Moal, Pie XII : Le pape face au Mal (Éditions Perrin). Avant même d’en lire la première ligne, je savais à quoi m’attendre – pour avoir recensé Les hommes de Mussolini – en termes de qualité de recherche sous une plume hors du commun.

En un peu moins de 400 pages, le brillant auteur brosse le portrait tout en nuance d’un personnage compliqué, mais conséquent. Tout dévoué à sa mission, Pie XII a navigué dans les eaux troubles de deux conflits mondiaux dévastateurs et du début de la Guerre froide, tout en menant la barque de l’Église universelle. Après avoir été nonce en Allemagne, son ministère s’est poursuivi en tant que Secrétaire d’État d’un pape bouillant, Pie XI. À la suite du décès de ce dernier, les cardinaux lui confient la charge pontificale le 2 mars 1939, six mois avant que les troupes nazies envahissent la Pologne.

poursuivre la lecture

JFK, ce tueur de charme

« Les lois sont comme les saucisses. C’est mieux de ne pas voir leur préparation », clamait l’homme d’État allemand Otto von Bismarck. Il en va des victoires électorales comme du processus législatif, puisque la fréquentation des arcanes de ces exercices démocratiques offre souvent la possibilité d’observer des épisodes baroques. Un exemple éloquent de cette affirmation se trouve entre les deux couvertures du dernier livre de l’ancien diplomate Georges Ayache, 1960 : La première élection moderne de l’Amérique (Perrin).

Aussi bien l’avouer d’entrée de jeu, j’ai grandi en m’abreuvant de la légende de JFK. Rien n’aurait pu déboulonner la statue mémorielle que lui avait érigée mon père. J’ai donc toujours nourri un vif intérêt pour ce président qui repose maintenant au panthéon de l’histoire américaine, à l’ombre des magnolias au cimetière national d’Arlington, en Virginie. Les chemins de traverse de mes années universitaires m’ont toutefois amené à la rencontre de celui qui souhaitait barrer la route du premier catholique à accéder au Bureau Ovale, l’insubmersible Richard Nixon.

poursuivre la lecture

Comment Napoléon est entré dans l’éternité

« En me traitant si mal, les Anglais ont mis la couronne d’épines sur ma tête. Ils ont excité un grand intérêt sur ma personne. » En ce dimanche de la Divine Miséricorde qui clôt l’octave de Pâques, ces paroles de Napoléon – aussi discutables puissent-elles être – résument fort bien le phénomène dont la gestation débute lors de son exil forcé sur l’île de Saint-Hélène dans l’Atlantique Sud, dans la foulée de la seconde abdication de Napoléon – quinze mois après les mornes plaines de Waterloo.

Dans Le dernier Napoléon : 1819-1821 (Passés / Composés), Michel Dancoisne-Martineau nous invite à partager les misères de l’isolement de l’Empereur détrôné pendant ces années fatidiques durant lesquelles cet homme qui n’a pas encore atteint la cinquantaine doit se résigner à être coupé du monde. Sous surveillance continuelle, il vit un emprisonnement relativement confortable, mais ennuyeusement hermétique, sous l’œil envieux d’un Hudson Lowe diablement mesquin, diplômé de l’académie des bassesses.

poursuivre la lecture