Questionné un jour dans un entretien privé à savoir s’il était impatient d’apprendre un jour la rédaction et la publication de sa biographie, un ancien ministre canadien des finances me répondit : « Pas du tout. J’aime mieux demeurer dans la légende que passer à l’histoire. » Cet épisode m’est immédiatement venu en mémoire lorsque j’ai débuté la lecture de La journée révolutionnaire : Le peuple à l’assaut du pouvoir 1789-1795 (Passés Composés) de l’historien Antoine Boulant.
Tout au long de son propos, l’auteur s’emploie à départager l’histoire de l’imaginaire. « Alors que l’imaginaire collectif associe volontiers la journée révolutionnaire à des combats sanglants et des tueries collectives, une analyse plus nuancée s’impose. » À plusieurs endroits, on mesure à quel point les journées révolutionnaires étudiées dans ces pages n’avaient rien de spontané. Seulement quelques centaines d’insurgés se retrouvaient devant les murs de la Bastille le 14 juillet 1789. La majorité des Parisiens ne faisaient pas partie de la foule révolutionnaire, les franges les plus misérables de la société y étaient minoritaires et ce n’est pas « une foule déguenillée » qui a pris d’assaut la Bastille et les Tuileries.
Quel ne fut pas également mon étonnement de constater à quel point la prise des armes servait les intérêts de personnages importants de l’establishment comme le duc d’Orléans, que l’on soupçonne notamment d’avoir financé les émeutiers. Et que dire du rôle déterminant des rumeurs, comme par exemple tout le bruit entourant le « banquet des gardes du corps » propagées dans une véritable campagne de relations publiques. De véritables Fake News qui n’ont rien à envier aux tribulations d’un certain politicien américain. Aussi bien l’avouer, je me suis senti à des années lumières du film culte La Révolution française de Robert Enrico et Richard T. Heffron que j’ai longtemps vénéré.
Étant donné mes appétences pour les affaires militaires, c’est cependant surtout l’incapacité du roi et de son armée de faire face à la musique qui m’a le plus marqué. Impuissance. Indécision. Irrésolution. Fiabilité compromise. Multiples défaillances. Faible disposition des troupes. Mollesse des dirigeants. Voilà ce qui caractérisait le dernier rempart qui aurait pu et dû sauvegarder la couronne. À cet égard, l’anecdote au sujet du marquis Gilbert du Motier de La Fayette, commandant de la garde nationale parisienne, est tragiquement révélatrice :
« Arrivé à Versailles vers minuit à la tête de vingt mille gardes nationaux, trompé par le calme apparent de la ville, trop confiant dans sa popularité et accablé de fatigue, La Fayette préféra aller dormir dans l’hôtel de Noailles plutôt que de rester aux côtés du roi et d’inspecter les postes de garde, ce qui devait lui valoir de la part de Rivarol le surnom de « général Morphée » ».
On est à des années lumières des heures glorieuses vécues sur les champs de bataille de la Guerre d’indépendance américaine.
Avec un tel soutient et enfermé dans l’indécision (« il inspira de l’intérêt sans doute, mais point de courage »), comment Louis XVI pouvait-il résister à la tempête? À sombrer dans l’uchronie, on serait facilement tenté de croire qu’un roi déterminé formulant « des ordres clairs », rassemblant « des effectifs importants, des officiers résolus et des soldats déterminés » n’aurait certainement pu faire pire, voire qu’il aurait même peut-être été en mesure de garder le contrôle de la situation et ainsi sauver la Couronne. Là s’arrête une réflexion qui s’est certainement manifestée à l’esprit de millions d’observateurs avant moi. Au fil des pages du livre d’Antoine Boulant, on ressent cependant un fort sentiment d’impuissance et de frustration face à un régime en déroute parce que l’indécision du roi paralyse toute action militaire digne de ce nom.
Le mérite d’un bon livre repose sur la pertinence de son contenu et la qualité de son écriture. À ces deux égards, l’auteur remporte ce pari avec brio. Alimenté d’observations sociologiques révélatrices et déambulant dans des sentiers de l’histoire militaire que je méconnaissais, la trame d’Antoine Boulant est offerte dans un style accessible et coloré sans pour autant être alourdi d’informations superflues. Aucune phrase n’est inutile. Au passage, l’auteur convoque à la barre des témoins – Thomas Jefferson, Gouverneur Morris, ou encore l’agronome britannique Arthur Young, ce dernier marquant son étonnement que le pouvoir en place puisse tolérer des « nids de sédition et de tels foyers de révolte » qui devaient conduire à sa perte – dont les observations ajoutent une perspective essentielle au propos.
La seule déception que j’exprimerais est à l’effet que j’aurais apprécié que l’auteur consacre plus de temps au processus politique, au cheminement mental du roi en ces journées fatidiques où son funeste destin fut scellé. Il est trop facile d’affubler Louis XIV d’une faiblesse mortifère sans vouloir lui offrir la possibilité de justifier ses décisions, comme sa volonté de ne pas réprimer les manifestations, un luxe dont tout bon autocrate ne peut se prévaloir. Mais tel n’était vraisemblablement pas l’objectif de l’historien. Je serais naturellement ravi s’il revenait sur le sujet dans une publication future.
Des livres comme La journée révolutionnaire, j’en prendrais des dizaines dans ma bibliothèque.
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Antoine Boulant, La journée révolutionnaire : Le peuple à l’assaut du pouvoir 1789-1795, Paris, Passés Composés, 2021, 224 pages.
Je tiens à remercier sincèrement Jennie St-Pierre, responsable du marketing chez Prologue, et Amandine Dumas, responsable des relations de presse chez Passés / Composés, pour l’aide précieuse qu’elles m’ont apporté dans la réalisation de cette recension et pour ce blogue dans son ensemble.
pas Louis XIV, mais Louis XVI !!!!
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Merci infiniment. Correction apportée. Louis XIV occupe visiblement mon esprit plus que je ne le pensais…
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