« Xi Jinping est, hélas, le chef d’État actuel le plus impressionnant » – général Henri Bentégeat

Le Général (à la retraite) Henri Bentégeat (source: Alchetron)

Dans la foulée de ma recension de l’excellent livre Les ors de la République (Éditions Perrin) du général d’armée (à la retraite) Henri Bentégeat, j’ai soumis quelques questions à son attachée de presse. Très aimablement, il s’est empressé d’y répondre. C’est donc avec grand plaisir que je partage cet entretien avec vous.

Mon général, j’ai dévoré Les ors de la République avec énormément d’intérêt et de fascination. Vous y brossez un portrait fascinant des présidents François Mitterrand et Jacques Chirac. Mais comme vous avez naturellement côtoyé des chefs d’État étrangers, je me demandais lequel vous avait le plus impressionné et pourquoi?

Ayant côtoyé de nombreux chefs d’État, avec Jacques Chirac ou en tant que chef d’état-major des armées, j’ai quelque peine à désigner celui ou celle qui m’a le plus impressionné. Avant la campagne aérienne contre la Serbie qui a révélé son messianisme exalté, j’aurais volontiers cité Tony Blair, tant son enthousiasme souriant, sa simplicité et sa maitrise des dossiers me séduisaient. Je retiens donc plutôt Cheikh Zayed que j’ai rencontré au soir de sa vie. Celui qui présidait au destin des Émirats arabes unis, avait un charisme peu commun et sa sagesse proverbiale s’exprimait avec une douceur ferme et souriante, ouverte au dialogue sans céder sur l’essentiel. Chirac vénérait ce grand modernisateur respectueux des traditions et faiseur de paix.

Les présidents et leurs conseillers ayant pris goût à la disponibilité et à la discrétion du personnel militaire, le ministère de la Défense a été invité à détacher à l’Élysée des chauffeurs, des secrétaires, des maîtres d’hôtel et des rédacteurs pour le service du courrier…

À la page 31, vous évoquez – et je dois avouer avoir été étonné – que près de la moitié du personnel de l’Élysée sont des militaires. J’ai la nette impression que la France se démarque à cet égard de manière singulière. Mais pourquoi en est-il ainsi au juste?

La moitié du personnel de l’Élysée est militaire et cela peut surprendre. La première raison de cet état de fait est la priorité donnée à la sécurité et à la confidentialité en ce lieu où se côtoient les plus grands décideurs français et étrangers. Or, depuis les débuts de la IIIème République, l’ossature du dispositif de protection a été confiée à la Garde républicaine. Par la suite, les présidents et leurs conseillers ayant pris goût à la disponibilité et à la discrétion du personnel militaire, le ministère de la Défense a été invité à détacher à l’Élysée des chauffeurs, des secrétaires, des maîtres d’hôtel et des rédacteurs pour le service du courrier… Enfin, l’état-major particulier du président et le service médical (entièrement militaire) comptent une cinquantaine d’officiers et de sous-officiers.

Il est indispensable que les chefs militaires aient un caractère bien trempé pour savoir refuser des missions impossibles ou trop coûteuses en vies humaines.

À la page 215, vous faites référence à l’importance, pour le chef d’état-major des armées et le chef d’état-major particulier d’avoir des personnalités trempées d’un solide caractère et non de se fondre dans la docilité. Vous référez à cet égard au général Brooke auprès de Churchill. Pourriez-vous nous donner un ou des exemples historique(s) de docilité qui a / ont mal tourné?

Au plus haut niveau de responsabilité, il est indispensable que les chefs militaires aient un caractère bien trempé pour savoir refuser des missions impossibles ou trop coûteuses en vies humaines. Or, les chefs d’État sont souvent tentés de choisir des généraux dociles, confondant loyalisme et servilité. L’exemple le plus frappant en fut donné par Johnston quand il promut, en 1964, le général Wheeler à la tête des armées à un moment crucial de la guerre du Vietnam. Cet officier, intelligent mais inexpérimenté et timoré, ne lui servit qu’à camoufler devant le Sénat et le Congrès les difficultés rencontrées sur le terrain. Hitler alla plus loin, n’hésitant pas, en Russie, à prendre directement le commandement des opérations tant il jugeait ses généraux incapables, avec le résultat que l’on sait.

Les moment les plus difficiles que j’ai connus à l’Élysée furent certainement les évènements dramatiques survenus au Rwanda en 1994.

Seriez-vous à l’aise de partager avec nous quels furent l’épisode le plus difficile et, à l’inverse, le plus joyeux que vous avez vécus durant votre affectation élyséenne?

Les moment les plus difficiles que j’ai connus à l’Élysée furent certainement les évènements dramatiques survenus au Rwanda en 1994. L’assassinat du président Habyarimana et le génocide qui suivit sanctionnaient l’échec dramatique de notre politique africaine dans laquelle l’état-major particulier jouait un rôle important. Nous n’avions rien vu venir et c’était un monde qui s’effondrait, celui du « pré carré » africain de la France, une deuxième mort de l’Empire colonial. À l’inverse, parmi les moments les plus joyeux, je me souviens surtout des visites du président Chirac dans les armées, sa joie d’être entouré de soldats, de marins ou d’aviateurs, ses échanges chaleureux avec la troupe et la ferveur que je lisais sur leurs visages pour ce chef des armées qui les aimait et les estimait.

Adolescent, je lisais cinq livres par semaine, le maximum autorisé par la bibliothèque municipale où je m’approvisionnais.

D’où vient votre amour de l’écriture? Quels sont les auteurs et les livres qui vous ont le plus inspiré dans votre parcours?

J’ai toujours aimé écrire. Adolescent, je lisais cinq livres par semaine, le maximum autorisé par la bibliothèque municipale où je m’approvisionnais. Entre 16 et 17 ans, j’ai écrit quelques pièces de théâtre et un conte qui se voulait philosophique. Mais je n’ai vraiment pris la plume qu’une fois à la retraite. Je n’ai pas de modèle. Ma passion pour la littérature est sans frontières, mais il est un écrivain que j’aime par-dessus tout, Julien Gracq, qui a écrit les deux plus beaux livres que j’aie lus sur la guerre: Le rivage des Syrtes et Un balcon en forêt.

Parmi tous les chefs d’État ou de guerre de l’histoire, avec lequel aimeriez-vous passer un peu de temps, autour d’un repas par exemple, si vous le pouviez et pourquoi?

Si je pouvais choisir avec quel Chef d’État en guerre passer un moment, ce serait Clemenceau ou Churchill, des personnalités fortes, enthousiastes, originales et drôles. Les hommes de pouvoir qui n’ont pas d’humour me font peur.

M’intéressant beaucoup à la politique israélienne (je m’y suis rendu à 9 reprises dans le passé et j’ai rencontré l’ancien Premier ministre Netanyahou), le premier chapitre que j’ai lu dans Chefs d’État en guerre (lecture en cours et recension à venir) est celui consacré à Ben Gourion. Suis-je dans l’erreur d’identifier plusieurs points communs entre lui et Netanyahou (réalisme brutal, style autocrate, attachement aux colonies, stratégie militaire fondée sur le principe de l’affrontement permanent, boulimique de lecture, etc.)?

Entre Ben Gourion et Netanyahou, il y a beaucoup de points communs, tant dans le caractère obstiné et brutal, que dans l’obsession de l’extension de l’emprise juive sur le territoire biblique d’Israël. Ce n’est pas surprenant car Ben Gourion a façonné le comportement de ses successeurs par le succès de sa politique de confrontation avec ses voisins. Toutefois, à la différence de Netanyahou, il était un homme de gauche, attentif aux questions sociales, du moins pour la population juive.

George Bush (père) était un homme cultivé, très « européen », d’une grande courtoisie, qui entretenait avec François Mitterrand des relations confiantes.

Dans l’esprit de vos deux derniers livres et en raison de tout l’intérêt que suscite la politique américaine au Canada (et ailleurs dans le monde pour tout dire), quelle est la personnalité politique ou militaire qui vous a le plus marqué dans vos relations avec Washington?

Parmi les personnalités américaines que j’ai pu côtoyer, j’en retiens deux : George Bush (père) était un homme cultivé, très « européen », d’une grande courtoisie, qui entretenait avec François Mitterrand des relations confiantes. Tous deux avaient combattu pendant la Deuxième Guerre mondiale et savaient le prix de la paix. Pourtant, la personnalité qui m’a le plus marqué était incontestablement le général Colin Powell. Cet officier très expérimenté, charismatique et rayonnant, avait un sens politique aigu et maitrisait tous les aspects de sa fonction de chef d’état-major. Il fut moins convaincant comme ministre des Affaires étrangères, soumis à l’influence pernicieuse de Cheney et Rumsfeld.

Le président chinois mène sa barque avec habileté. Il a une vraie vision pour son pays, une détermination impressionnante et une stratégie souple alternant confrontations et replis tactiques.

Y a-t-il un chef d’État qui vous impressionne particulièrement actuellement, de par ces qualités que vous avez étudiées et reconnues dans l’histoire?

Parmi les chefs d’État actuels, lequel est le plus impressionnant? Sans hésiter, hélas, Xi Jinping. Le président chinois mène sa barque avec habileté. Il a une vraie vision pour son pays, une détermination impressionnante et une stratégie souple alternant confrontations et replis tactiques. À divers égards, on peut le comparer à Staline. Impressionnant donc, mais en aucun cas un modèle. Les succès qu’il engrange pourraient à terme se retourner contre les ambitions chinoises.

Question indiscrète enfin, est-ce qu’un prochain livre se trouve sur votre table d’écriture? Le cas échéant, accepteriez-vous de nous dire quel en sera le sujet?

Je prépare un prochain livre dont le thème n’est pas encore défini, probablement dans l’esprit de mon premier, Aimer l’armée, une forme d’hommage à tout ce que j’ai reçu de ce métier exigeant et parfois ingrat, mais où l’amitié et la camaraderie sont le ciment de la vie quotidienne.

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Le général d’armée Henri Bentégeat a publié Chefs d’État en guerre et Les ors de la République chez Perrin. Des lectures incontournables pour les férus du croisement entre la sphère politique et les affaires militaires.

Je tiens à exprimer ma plus sincère reconnaissance à Mme Claudine Lemaire, attachée de presse du général Bentégeat, pour son inestimable et aimable collaboration dans la réalisation de cette entrevue.

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