Elizabeth II a rapproché la monarchie du peuple

Le 10 décembre 1936 marque une date cruciale dans l’histoire de la monarchie britannique en général, mais aussi de la petite Elizabeth Windsor en particulier. Son oncle, le roi Édouard VIII abdique pour vivre pleinement son amour avec Wallis Simpson, une divorcée américaine. La jeune fille est alors âgée de 10 ans. Son monde, celui de sa famille immédiate également, vient de basculer radicalement. Son père, le duc d’York, lui succède de facto et prend le nom de George VI. Il s’agit de l’une des pires crises traversées par la monarchie britannique, un point tournant pendant lequel on s’interroge sérieusement sur l’avenir de la Couronne. Tout aurait pu basculer et les tenues d’apparat rangées dans les musées pour l’éternité. Ce ne fut pas le cas. Heureusement.

George VI, notamment en raison de son stoïcisme, de sa résilience et de son empathie, remet l’ouvrage sur le métier. Les nouveaux locataires de Buckingham Palace commencent à recoudre le blason de la famille royale dans le tissu social britannique et de l’Empire. Elizabeth n’est pas une enfant comme les autres. Le coup de crayon donné par son oncle en cette date fatidique fait en sorte qu’elle ne pourra plus jamais baisser la garde. Elle est l’héritière du trône et, 15 ans plus tard, elle relèvera le gant dans un règne déchaîné de tourments et ponctué de moments glorieux.

Elizabeth II a rendu l’âme le 8 septembre dernier et il serait impensable de répertorier toutes les observations exprimées depuis sur l’héritage de ce règne le plus long de l’histoire. Il est toutefois essentiel de se pencher sur les raisons qui ont fait en sorte qu’elle est parvenue à laisser une empreinte indélébile.

Jean des Cars est l’un des meilleurs historiens des monarchies et le meilleur dans la langue de Molière. Plus tôt cette année, les éditions Perrin ont acheminé en librairie Elizabeth II : La Reine dans une édition spéciale pour le Jubilé de platine de la souveraine. Cette biographie se veut un excellent point de départ pour quiconque souhaite mieux comprendre comment cette figure emblématique a réussi à faire partie de la vie quotidienne de ses sujets et d’une multitude au-delà des frontières du Royaume-Uni.

Le règne d’Elizabeth II a été un succès, selon l’auteur, parce qu’elle « […] a toujours veillé à rapprocher la monarchie du peuple […] », assurant « […] toujours l’incarnation de traditions en apparence opposées, mais que la souveraine rend compatible. » Jean des Cars rappelle également que la Reine Victoria s’était rendue impopulaire en son temps parce qu’elle était « trop invisible ». Sa descendante en a pris bonne note de cet autre exemple à ne pas émuler, du moins pas au niveau de la proximité avec ses sujets. Cela implique de ne ménager aucun effort, aucun détail. Un travail d’orfèvre auquel Elizabeth II s’emploie avec la détermination sans faille qui a toujours été la sienne.

Sur la scène internationale, elle monte sur le trône alors que Staline déambule encore dans les couloirs du Kremlin doit composer avec la Guerre froide. Au niveau politique, tous les chefs de gouvernements qui dirigent le pays en son nom ne sont pas de la trempe d’un Winston Churchill, loin de là. À cet égard, les relations avec Margaret Thatcher avaient certainement de quoi faire froncer l’impassible Reine à de nombreuses occasions. Et, il y a finalement la famille. Elizabeth II doit composer avec ceux et celles qui en font partie et dont les gestes vont souvent à l’encontre des us et coutumes et des intérêts de la Couronne. Mais la Reine n’est pas une cheffe de famille comme les autres. Ses décisions doivent d’abord et avant tout assurer la stabilité et la pérennité de l’institution. Certains de ses proches l’oublieront à leurs dépens.

L’encombrant fantôme d’Édouard VIII est toujours là pour rappeler que la relation entre le peuple et la monarchie n’est jamais acquise. À preuve, la grogne qui se fait entendre lorsque la Reine fait la sourde oreille à la douleur populaire ressentie à la suite du décès de la Princesse Diana.

L’un des aspects les plus révélateurs du travail de Jean des Cars est d’illustrer l’influence des souverains grands-parents dans l’éducation et l’ascension de leurs petits-enfants qui seront un jour appelés à porter la couronne sur leur tête et leurs épaules. J’évoquais, dans une recension précédente du livre hommage que l’historien consacrait à la grande Reine à quel point la figure de son grand-père George V avait été importante et formatrice pour elle.

Dans cette biographie, il relate que le Prince Charles – maintenant le Roi Charles III – entretenait depuis sa tendre enfance une relation privilégiée avec la Reine mère. Une génération plus tard, Elizabeth II prendra ses petits-fils William et Harry sous son aile. Alors qu’Harry dépassera les bornes – d’abord par des esclandres de jeunesse et ensuite de manière plus dommageable sous l’influence de Meghan – William, de son côté, apprendra les rudiments de son futur rôle auprès de sa grand-mère. Et son mariage avec Catherine Middleton en 2011 permettra à la monarchie de prendre « […] un coup de jeune et de charme, soutenue par une Elizabeth II gardienne des usages […]. » Je suis maintenant curieux de voir comment la relation entre le Roi Charles III et le prince George évoluera, puisque cela aura inévitablement une incidence sur la suite des choses.

S’il est vrai que la défunte Reine Elizabeth II fut celle de l’image, selon l’expression de Jean des Cars – tout était réglé au quart de tour et tout écart était susceptible de faire dérailler le train – elle fut aussi une souveraine de cœur qui s’est investi corps et âme dans sa fonction, un devoir sacré pour elle. La fillette de 10 ans a bien appris son rôle et nous pouvons en remercier le destin puisqu’elle nous a consolidé et inspiré une institution inégalée dans l’histoire.

En prenant le chemin de l’éternité, Elizabeth II a déposé le sceptre, l’orbe et la couronne d’une institution solide, admirée et inspirante entre les mains de son fils Charles III. C’est le plus bel héritage que la Reine pouvait offrir à son successeur dont le règne débute.

Soyons reconnaissants envers Jean des Cars pour ce portrait tout en nuances d’une institution incomparable et mondialement estimée.

Longue vie au Roi!

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Jean des Cars, Elizabeth II : La Reine, Paris, Perrin, 2021, 440 pages.

Je tiens à remercier Mesdames Céline Pelletier de Interforum Canada et Claudine Lemaire des Éditions Perrin à Paris pour leur précieuse collaboration dans la réalisation de cette recension.

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