La grammaire du pouvoir

Les ors de la République : Souvenirs de sept ans à l’Élysée (Perrin) a retenu mon attention parce que j’avais de très bons commentaires à propos des talents littéraires de son auteur, le Général Henri Bentégeat. Après en avoir terminé la lecture, je dois avouer que je n’ai pas été déçu. Loin de là.

Toujours intéressé par tout ce qui entoure la Res militaris, je souhaitais naturellement me renseigner davantage à propos de celui qui fut le trait d’union entre les forces armées et les présidents Mitterrand et Chirac. J’ai toujours admiré le premier et j’avais toujours cultivé une distance avec le second. Le Général Bentégeat m’a permis de rencontrer dans ses pages un personnage beaucoup plus complexe et profond que l’impression qui m’en était donnée, mais là n’est pas l’essentiel de mon propos.

À vrai dire, c’est avec délectation que j’ai sillonné les scènes du pouvoir esquissées dans le style invitant et parfois acéré de l’auteur. Pour tout dire, Mitterrand s’amuse toujours à observer les membres de son entourage conjuguer la grammaire du pouvoir. Lors d’un déjeuner avec le Sphinx (surnom donné à François Mitterrand pour sa capacité à toujours bien cacher son jeu), l’adjoint de son chef d’état-major particulier se retrouve assis à côté de lui. Voici la suite :

« En verve, il [Mitterrand] commence par évoquer les Mémoires d’un grognard de la Grande Armée, un « livre peu connu que j’ai trouvé chez un bouquiniste », précise‐t‐il. Après avoir détaillé avec gourmandise les campagnes rocambolesques et glorieuses de cet humble soldat de Napoléon, il s’interrompt soudain : « J’en demande pardon à tous ceux d’entre vous qui l’ont lu… » Je ne peux retenir un éclat de rire tant il est évident que le chef des armées s’amuse à nos dépens, soulignant perfidement notre inculture historique. »

C’est tout Mitterrand qui est contenu dans cette vignette. L’amour des livres, le plaisir intellectuel, une certaine distance avec les autres méticuleusement cultivée et une capacité à bien établir une forme subtile mais efficace de domination sur son entourage.

J’ai raffolé des observations du Général Bentégeat à propos du vainqueur du 10 mai 1981, notamment son utilisation d’un stylo Waterman pour écrire à l’encre bleue. C’est cependant surtout à propos de son successeur que j’en ai le plus appris. De la Bosnie à la Côte d’Ivoire, en passant par l’Irak et l’Afghanistan, Jacques Chirac est « […] un chef de guerre résolu, pragmatique et lucide par sa compréhension intime de la vocation et de l’emploi des armées. » Féru d’affaires militaires dont les voyages préférés sont les déplacements pour visiter les armées, le président ne raffole pas de faire s’activer le bruit des bottes pour « […] des actions de force sans lendemain. »

Au final, le Chirac dépeint sous la plume du Général Bentégeat est à la fois beaucoup plus attachant et tellement plus conséquent que je n’aurais été porté à l’imaginer, à des années lumières de l’image d’un « benêt influençable ». Uniquement pour cela, cette lecture valait le coup.

En compagnie de celui qui occupera ensuite les fonctions de chef d’état-major des armées, on accompagne un président bourreau de travail et rempli d’empathie envers les gens ordinaires. Le tout, bonifié d’une sagesse inspirée par un sens profond de l’histoire et de la realpolitik. Au ministre de la Défense qui refuse de signer l’accréditation de la nomination de l’évêque aux armées par le pape, Chirac réplique : « Vous avez tort, monsieur le ministre, on ne gagne pas contre Rome et l’Église… Ils ont l’éternité pour eux. » Succulent.

Cela dit, Les ors de la République est un récit indispensable pour mieux comprendre la nature et la portée des relations entre le pouvoir civil et le domaine militaire. L’influence du second dépend directement de ses relations avec le premier, mais aussi de la capacité à ne pas endosser les habits d’une docilité obséquieuse et néfaste. Pas nécessairement la plus facile des dispositions à adopter dans un univers de flagornerie.

Mais le principal mérite du livre revient au talent d’écrivain de son auteur. Pas un mot dans le récit n’est superflu et on constate rapidement que tout est bien pesé, les anecdotes – parfois mordantes – servant à illustrer un argument avec justesse. Je retiens à cet égard l’anecdote du président américain Bill Clinton sirotant son coca en attendant François Mitterrand dans la cour de l’Élysée ou encore, pour illustrer le côté mondain de ses fonctions, la « jalousie féroce » du mari de Sophie Marceau lors d’un dîner officiel.

Pour ceux et celles qui nourrissent un intérêt envers les coulisses du pouvoir et les bonnes plumes, le Général Bentégeat est le compagnon tout désigné pour une lecture d’été. Et puisque l’auteur réfère aux Churchill, Lincoln et Lyndon B. Johnson dans son propos, je me propose pour ma part de dévorer son livre précédent, Chefs d’État en guerre.

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Général Henri Bentégeat, Les ors de la République : Souvenirs de sept ans à l’Élysée, Paris, Éditions Perrin, 2021, 250 pages.

Je tiens à exprimer toute ma reconnaissance envers Marlène Teyssedou, responsable des relations de presse des éditions Perrin, de m’avoir gentiment fait parvenir une version de ce livre.

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  1. Pingback: La sérénité de Jacques Chirac – BookMarc

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