Rien ne permet de rattacher Giorgia Meloni au fascisme

La présidente du Conseil italien Giorgia Meloni (News18)

Dans la foulée de la publication de ma recension de son très documenté et agréable Les hommes de Mussolini, l’auteur et historien Frédéric Le Moal a généreusement accepté de répondre à quelques questions. Voici le contenu de cet échange extrêmement instructif et agréable.

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M. Le Moal, dans Les hommes de Mussolini, j’ai été frappé de constater l’importance et la portée des forces en présence – monarchie, Église et forces armées – avec lesquelles Mussolini devait composer. Diriez-vous que le Duce avait les mains attachées dès le départ?

Mussolini lui-même a reconnu en 1944 que la révolution fasciste s’était arrêtée devant le palais royal. Ce qu’il exprimait par ce raccourci, c’était la réalité du contre-pouvoir que représentait la Couronne – et par là une limite à son propre pouvoir – puisque le Duce, tout dictateur fût-il, n’occupa jamais le poste de chef de l’État. Il demeura Premier ministre, ce que Victor-Emmanuel III aimait lui rappeler en l’appelant Presidente (allusion à sa fonction pourtant abolie en droit de président du Conseil).

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Napoléon, cet animal politique

Je ne pouvais laisser se terminer l’année 2021 sans recenser l’un des meilleurs livres consacrés à Napoléon qui me soit passé entre les mains pendant le bicentenaire de son décès. À cet égard, Les hommes de Bonaparte : La conquête du pouvoir 1793-1800 (Éditions Perrin) de l’historien Jean-Philippe Rey m’a permis de découvrir un aspect de l’Empereur dont ma connaissance était, je le constate bien aujourd’hui, très embryonnaire. Alors que les vertus de celui que Clausewitz appelait le « Dieu de la guerre » sont bien connues, son génie politique l’est beaucoup moins. Et c’est à ce niveau que l’auteur nous renseigne de manière convaincante.

Bonaparte, nous dit Jean-Philippe Rey était un animal politique, un ambitieux désireux de s’investir corps et âme pour grimper au sommet. En témoigne notamment son mariage avec Joséphine (un mariage dont les deux époux tirèrent avantage, malgré sa nature complexe) et une capacité consommée à tisser, entretenir et étendre ses réseaux. Le réseautage est d’ailleurs un – pour ne pas dire le – thème dominant du livre.

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La grammaire du pouvoir

Les ors de la République : Souvenirs de sept ans à l’Élysée (Perrin) a retenu mon attention parce que j’avais de très bons commentaires à propos des talents littéraires de son auteur, le Général Henri Bentégeat. Après en avoir terminé la lecture, je dois avouer que je n’ai pas été déçu. Loin de là.

Toujours intéressé par tout ce qui entoure la Res militaris, je souhaitais naturellement me renseigner davantage à propos de celui qui fut le trait d’union entre les forces armées et les présidents Mitterrand et Chirac. J’ai toujours admiré le premier et j’avais toujours cultivé une distance avec le second. Le Général Bentégeat m’a permis de rencontrer dans ses pages un personnage beaucoup plus complexe et profond que l’impression qui m’en était donnée, mais là n’est pas l’essentiel de mon propos.

À vrai dire, c’est avec délectation que j’ai sillonné les scènes du pouvoir esquissées dans le style invitant et parfois acéré de l’auteur. Pour tout dire, Mitterrand s’amuse toujours à observer les membres de son entourage conjuguer la grammaire du pouvoir. Lors d’un déjeuner avec le Sphinx (surnom donné à François Mitterrand pour sa capacité à toujours bien cacher son jeu), l’adjoint de son chef d’état-major particulier se retrouve assis à côté de lui. Voici la suite :

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Les fantômes de la Maison-Blanche

Cœur du pouvoir et des tractations de la plus grande puissance mondiale, la Maison-Blanche fascine. Tout comme le parcours de tous ceux qui l’ont occupée. On aime naturellement se souvenir de ces figures hors normes, de par leurs accomplissements et leurs idées. Mais l’histoire des coulisses de cet auguste Manoir n’est pas moins intéressante, pour ne pas dire fascinante.

Dans son dernier livre, Le Manoir : Histoire et histoires de la Maison-Blanche, l’historien Maurin Picard nous propose une visite guidée enlevante de l’épopée présidentielle. On y rencontre tour à tour l’inventeur Alexander Graham Bell qui y présente son invention, le militaire américain John Philip Sousa, le roi des marches militaires, compositeur de la célèbre Stars and Stripes Forever ou encore – pour les amateurs de Ghost Adventures – le fantôme d’un Andrew Jackson « jurant abondamment ».  

Cela dit, j’ai également ressenti beaucoup de colère en lisant le correspondant du quotidien Le Figaro à Washington. Dans son chapitre consacré à l’assassinat de Abraham Lincoln pour être plus précis. Le 14 avril 1865 au soir, Abraham Lincoln se passerait bien d’aller au théâtre. Il est épuisé, mais il veut faire plaisir à son épouse Mary. Mal lui en prit. C’est le moment où l’assassin John Wilkes Booth frappe le destin de l’Amérique en plein cœur. Le président dispose de quatre policiers, recrutés parmi les meilleurs de la police métropolitaine de la capitale, mais celui qui l’accompagne ce soir-là est le moins professionnel du lot. Pour ne pas dire un incompétent. Je vous laisse juger par vous-même : « À l’intermission, au lieu de regagner son poste, il rejoint le cocher et le valet de pied d’Abraham Lincoln dans le bar situé à côté du théâtre. La voie est libre pour l’assassin. » Vous connaissez la suite…

Quel ne fut pas également mon étonnement de lire que, suite à la Première Guerre mondiale, « un compromis sur le vote ratifiant le traité de Versailles » aurait été envisageable entre le président démocrate Woodrow Wilson et le chef de file des Républicains au Sénat Henry Cabot Lodge. Le président n’y donne malheureusement pas suite et l’influence de son épouse Edith qui garde jalousement l’accès à son mari atteint par la maladie n’est certainement pas étrangère à ce scénario qui aurait pu influer sur le cours des affaires mondiales et, qui sait, permettre d’éviter le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.

Les gens de ma génération ont de la Maison-Blanche une image largement influencée par les personnages de la légendaire série télévisée The West Wing. Mais la réalité historique est beaucoup plus tragique. Un président a tragiquement perdu un fils juste avant d’y entrer (Franklin Pierce), deux pendant leur mandat (Abraham Lincoln et Calvin Coolidge) et un autre, Theodore Roosevelt, succombera moins de 6 mois après que son fils favori, Quentin, fut abattu par les Allemands dans le ciel français pendant la Première Guerre mondiale. Un dernier, Andrew Jackson, enterra sa douce Rachel, le 24 décembre 1828. Elle a succombé à une crise cardiaque deux jours plus tôt, suite à une campagne où les adversaires de son mari l’ont copieusement calomniée.

À l’instar de celle qui n’accompagnera jamais son mari à la Maison-Blanche, trois présidents – James Garfield, Warren Harding et Theodore Roosevelt – ont eux aussi été enlevés à ce monde de la même manière. Quant à Dwight D. Eisenhower, il subit une crise cardiaque en septembre 1955 et devra en encaisser 6 autres durant ses vieux jours. Pour tout dire, occuper le Manoir est tout sauf une sinécure. Nous pourrions également évoquer les insomnies de Lyndon B. Johnson ou encore les effets pernicieux des eaux saumâtres sur l’état de santé de quelques-uns de ses prédécesseurs pour appuyer cet état de fait.

Le livre de Maurin Picard brosse certes le tableau d’une résidence qui se veut en même temps une institution. Mais son mérite principal réside dans le fait qu’il humanise les individus qui ont souhaité et qui ont été appelés à l’occuper. Ces figures emblématiques de la vie politique américaine y ont souvent vécu des moments bien difficiles, comme nous venons de l’évoquer. Mais ils ont également connu de beaux moments. Le chapitre consacré à la vie familiale très dynamique de Theodore Roosevelt et de ses 5 petits monstres (« Les domestiques terrifiés voient les enfants Roosevelt se frayer un chemin en rampant jusque sous la table, harcelant les invités, nouant leurs lacets, tirant sur les robes des dames et quémandant à manger sans honte aucune ») verra inévitablement un sourire se manifester sur votre visage.

Personnellement, j’aurais certainement aimé lire quelques pages de cet auteur talentueux à propos de deux de mes présidents favoris – Reagan et George H. W. Bush – mais je comprends qu’il lui fallait faire des choix éditoriaux.

À l’aube d’un nouveau chapitre dans l’histoire de la Maison-Blanche, laquelle accueillera bientôt son résident le plus âgé mais certainement pas le moins sympathique, Maurin Picard offre aux férus d’histoire politique américaine un ouvrage captivant qui figure désormais parmi mes favoris. Et ça se lit d’une traite.

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Maurin Picard, Le Manoir : Histoire et histoires de la Maison-Blanche, Paris, Perrin, 2020, 304 pages.

Je tiens à exprimer des remerciements particuliers à Marie Wodrascka des Éditions Perrin de m’avoir offert une version électronique de cet ouvrage.

Vladimir Poutine, ce méconnu

PutinMarkGaleottiNe cherchez pas à savoir pourquoi, mais la fête de Pâques me fait toujours penser à la Russie. J’ignore d’où ça vient, mais c’est comme ça.

Il est donc à propos que je publie quelque chose à propos de ce pays en cette fin de semaine pascale.

On le sait, Vladimir Poutine flotte dans une aura de mystère et d’incompréhension. Homme le plus dangereux du monde pour les uns, objet de curiosité pour plusieurs ou figure inspirante pour les autres, celui qui est aux commandes de la Russie depuis 20 ans laisse peu de gens indifférents. Et ça lui fait probablement bien plaisir, puisque son positionnement médiatique enviable est proportionnel à l’influence qu’il souhaite son pays voir occuper sur la scène internationale.

Le personnage me fascine depuis longtemps et je suis toujours à la recherche de bonnes lectures pour mieux le connaître – au-delà des attaques en règle ou de l’hagiographie.

Le portrait que brosse Mark Galeotti du président russe dans We Need to Talk About Putin : How the West gets Him Wrong mérite assurément de faire partie des lectures incontournables à propos de ce chef d’État.

Selon l’auteur, les malentendus dans nos relations avec la Russie découleraient de notre incompréhension de celui qui la dirige. D’où la nécessité de mieux en comprendre les ressorts.

Acteur politique rationnel, Poutine serait d’abord et avant tout un pragmatique désireux de faire en sorte que la Russie soit respectée sur la scène internationale. Fondamentalement loyal, le dirigeant n’aimerait pas prendre de risques (l’épisode ukrainien serait une erreur de parcours découlant de mauvais conseils selon l’historien britannique) et ne serait pas un idéologue. Il dérogerait également aux normes de plusieurs Russes de sa génération, en épousant une approche positive et inclusive envers les femmes.

Alors que les pays de l’ancien Bloc de l’Est sont une région du globe où l’antisémitisme se métastase avec la montée de l’extrême-droite (comme en Pologne), l’individu ne saurait être accusé d’aucun travers antisémite « dans un pays affichant une histoire sombre dans sa relation avec la communauté juive. » Finalement, pour répondre à l’accusation selon laquelle tous les ennemis du locataire du Kremlin se font zigouiller, Mark Galeotti intitule l’un de ses chapitres « Les ennemis de Poutine ne meurent pas tous » (après tout, Alexei Navalny est toujours vivant), exposant que « les Russes ont plus de chances de succomber à des rivalités criminelles ou d’affaires qu’en raison de démêlés avec le régime. »

Cela n’est pas sans me rappeler mon séjour à Moscou, au cours duquel j’avais aperçu la voiture d’un banquier devant mon hôtel, gardé par un agent de sécurité (qui ressemblait davantage à un mercenaire) armé jusqu’aux dents et se tenant prêt à appuyer sur la gâchette de son AK-17. Toute personne s’intéressant de près ou de loin à l’histoire de la Russie sait que le climat de violence fait partie du tissu social et politique de ce pays depuis des siècles. Il n’est donc pas étonnant que Poutine ait revêtu l’armure publique d’une personnalité forte, puisque « si les gens croient que vous êtes puissants, vous êtes puissants. »

L’auteur attribue les crimes politiques (notamment l’assassinat de Boris Nemtsov) au climat qui s’est fait jour autour des cercles du pouvoir. Même si une commande n’est pas donnée directement, le message passe subtilement et les basses œuvres sont exécutées. Avec un humour noir, il observe que Poutine est un autocrate miséricordieux. Vous ne tomberez pas sous les balles d’un tueur si vous ne l’obligez pas à vous acheminer prématurément vers le Créateur. Ne franchissez donc pas la ligne. Je me questionne cependant à savoir si Poutine cautionne ce système d’emblée ou s’il ne fait que l’instrumentaliser pour demeurer au pouvoir. Je ne retiendrai pas mon souffle en attendant la réponse. C’est brutal et je suis à des années lumières d’être à l’aise avec les règlements de conflits à coups de pistolet ou d’attentats, mais c’est la réalité.

Cela dit, j’ai été étonné de lire que VVP (c’est par ses initiales que plusieurs désignent souvent le chef d’État russe) serait également un sentimental, mais j’aurais dû m’en douter puisque la personnalité très dominante du président russe masque assurément, comme chez tous les individus, des blessures que l’on tient à protéger derrières les barbelées d’une posture « macho ». Mais je ne veux pas jouer les psychologues amateurs.

L’intérêt du travail de Mark Galeotti repose sur le fait que Vladimir Poutine est assurément mal perçu et visiblement mal compris en occident. Depuis longtemps, je suis d’avis que le tsar actuel est une bien meilleure option pour plusieurs que ceux qui pourraient vouloir ou être appelés à le remplacer.

L’historien adresse donc une mise en garde à l’effet que « Toute interférence plus active ou agressive entrainerait probablement des réactions actives et agressives, accordant plus de pouvoir à ces ultranationalistes que Poutine est parvenu à contenir. Le personnage n’est ni un fanatique, ni un lunatique et une Russie vivant dans la stabilité est moins dangereuse que si elle évolue dans le chaos. »

On ne pourrait saurait donc en vouloir à ceux qui souhaitent que les faucons ne délogent pas l’aigle de son nid.

S’il est un défaut dont j’affublerais ce livre, c’est qu’il est malheureusement beaucoup trop court. J’aurais bien avalé plusieurs pages supplémentaires rédigées par cette plume renseignée et agréable.

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Mark Galeotti, We Need to Talk About Putin: How the West Gets Him Wrong, London, Ebury Press, 2019, 143 pages.